[France] Les balcons de la Mer de Glace (1995)
Carte topographique IGN Top25 au 1/25000e 3630 OT Chamonix / Massif du Mont-Blanc
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Encore un stage UCPA (un grand merci pour tout ce qu'ils ont proposé dans le domaine de l'alpinisme !) pour une randonnée alpine originale : l'accomplissement du tour de la Mer de Glace à Chamonix. Pendant une semaine, on va évoluer sur les prémices d'un itinéraire imaginé par les acteurs locaux du tourisme de la vallée avec le but avoué d'amener le randonneur (pouvant évoluer sur les rochers équipés et sur les glaciers peu crevassés au profil quasi étale...) au coeur du massif du Mont-Blanc. Il pourra y découvrir les beautés prodiguées par Dame Nature, mais de l'intérieur..., beautés autrefois réservées au seuls alpinistes (pas tous forcément intéressés par les paysages mais plus concentrés sur l'exploit technique..., ce qui est dommage, non ?). Et puis, du point de vue mercantile, c'est aussi l'occasion d'augmenter le remplissage les refuges présents de part et d'autre de ce fleuve de glace : l'Envers des Aiguilles, le Requin, Leschaux, le Couvercle et éventuellement la Charpoua, ce dernier gardant un caractère alpinistique et "à l'ancienne" plutôt réservé aux seuls grimpeurs. Mais bon ! S'il reste de la place, pourquoi pas... Cet été 1995, les traces du sentier sont présentes (ce sont souvent celles qui permettent aux alpinistes de rejoindre la base des parois ou des glaciers empruntés pour l'ascension de sommets...) mais elles ne forment pas stricto sensu un itinéraire. Elles ne sont pas toutes reliées entre elles et quelques passages ne sont pas encore sécurisés par des mains courantes ou des échelles. Bref, on est quand même au-delà du domaine "randonneur", même de niveau supérieur. A l'époque, un guide de haute montagne s'avèrait nécessaire et c'était un beau "terrain de jeux" pour une première approche de la haute montagne pour le randonneur "curieux". Aujourd'hui, 30 ans après, avec le recul des glaciers qui ont laissé la place libre pour la construction de sentiers, ou qui a conduit à la création de nouvelles infrastructures d'accès, le suivi de cet itinéraire est toujours envisageable que pour des randonneurs aguerris (il y a encore de la progression sur glacier, on y rencontrera pas mal d'échelles à négocier...). C'est pourquoi, je préconise un encadrement du groupe par un guide de haute montagne qui saura sécuriser la progression du groupe...
Je rappelle que ce descriptif de course n'est EN AUCUN CAS un topo de course en haute montagne qu'il est possible d'exécuter comme tel ! Le récit date de 1995 et les conditions de la montagne évoluent négativement avec le dérèglement climatique. Donc, en 2021, et en attendant que d'éventuelles infrastructures pérennes soient créées (si c'est possible un jour...), la première étape au refuge de l'Envers des Aiguilles n'est peut-être plus réalisable, ou du moins bien moins aisément qu'en 1995 : peut-être faudra-t-il sqeezer cette étape et se rendre directement au refuge du Requin... Le reste de la circumambulation reste valide, quand même !
Diaporama Jour 1 : Départ de la gare du Montenvers de Chamonix au milieu du flot des touristes. Une demi-heure plus tard, on débouche sur la plateforme du Montenvers à 1909m d'altitue, l'air y est plus frais et surtout la vue est impressionnante. C'est réellement la porte d'entrée de la (très) haute montagne : que de pics redressés, que de fleuves glaciaires et du minéral à outrance. On descend par le sentier jusqu'au rebord des falaises de granit face au vallon d'altitude de la Charpoua surplombée par l'arête des Ecclésiastiques. Puis c'est l'enchaînement des échelles jusqu'à poser le pied sur la glace (en 2021, la Mer de Glace a encore diminué en épaisseur et la descente est "facilitée" par une liaison en télécabine, enfin, facilitée seulement au début, car il faut encore descendre une série de nouvelles échelles (on doit en ajouter une tous les deux ou trois ans tant la fonte du glacier est importante...). Sur la glace, on chausse les crampons, on a le piolet à la main, et on suit les marques de peinture jaune placées sur les rochers. On louvoie entre les crevasses aux lèvres assez sèches et sans pont de neige qui cacherait un trou béant. Non, non, du bien dur ! On commence à prendre conscience de l'importance de ce qui nous entoure, nous rendant bien microscopique au milieu de ce gigantisme. Les marques de peinture nous invitent à rejoindre la RG du glacier où démarrait autrefois le sentier tracé dans la moraine latérale. La fonte du glacier a nécessité la pose d'une série d'échelles avant que l'on ne puisse retrouver le sentier sensé nous conduire au refuge de l'Envers des Aiguilles (attention l'itinéraire de montée a évolué en 2018, voir ici). Une fois que l'on s'est élevé de 600m en zigzags serrés, on arrive au pied de la Tête de Trélaporte pour suivre un itinéraire en balcon quasi étale au-dessus du fleuve de glace. A main droite, les aiguilles de Chamonix (que l'on voit à l'envers, d'où le nom du coin...) nous dominent et l'on en est séparé de la base par ce qu'il reste du glacier de Trélaporte. Une dernière grimpette en zigzags serrés permet de rejoindre le refuge de l'Envers des Aiguilles où l'on retrouve quand même pas mal de randonneurs venus par le même chemin que nous mais qui nous quitteront dès le début de l'après-midi pour être sûrs de bien pouvoir reprendre le dernier train vers Chamonix dont le départ est à 19h (sinon c'est 1000m de descente en plus...).
En 2021, pas sûr que l'on ait l'occasion de croiser beaucoup de randonneurs "lambda" par ici car la nouvelle voie d'accès depuis la Mer de Glace est plus engagée et nécessite de la technique alpine...
Nuit dans ce refuge, donc, adossé à l'envers des Aiguilles de Chamonix où il faut lever les yeux pour essayer d'en distinguer les sommets qui ont pour nom République, Grépon, Charmoz, Plan, etc. Il n'y a que la Dent du Requin qui puisse se faire admirer sans difficulté puisqu'elle se dresse au S et pas vraiment loin. Demain, on file tout droit pour rejoindre le refuge du Requin ? Eh bien, non... Le passage n'est pas si aisé que ça et même dangereux avec les pierres qui descendent bruyamment dans les couloirs. Alors, ce sera par en bas...
Jour 2 : La descente directe pour rejoindre la "plage" de la Mer de Glace depuis le refuge n'a pas dû s'arranger depuis 1995 (j'avais refait ce circuit en 2004 et la moraine était pas mal délitée, alors comment a-t-elle évolué jusqu'en 2021 ?). En 1995 puis en 2004, les 400m de dénivelée descendante s'articulaient comme suit : une première partie qui se déroulait sur des banquettes herbeuses entre des bandes de rochers polis et une seconde où l'herbe avait disparu laissant place à une pente détritique. Les rochers ne tenaient à la pente que par "la grâce du Saint-Esprit" (ce qui ne doit pas améliorer le niveau de confiance...). A l'époque, le casque était indispensable, le harnais, deux mousquetons, un descendeur, des habits à manches longues et le pantalon aussi (en cas de glissade), et enfin une corde assez longue qui allait servir à faire des moulinettes pour désescalader cette pente friable. On trouvait toujours de gros cailloux sur lesquels placer des assurages mais c'est à l'autre bout de la corde, en bas, qu'il fallait briefer ceux qui étaient descendus de bien se cacher derrière des blocs rocheux de belle taille et sur le côté. Ca prenait pas mal de temps et ça générait un peu de stress mais ça se faisait... Noter qu'il y avait toujours la possibilité de l'autre itinéraire, beaucoup plus sûr (il prenait un peu plus de temps mais l'amplitude de la journée n'est pas très longue...) : redescendre par le sentier d'arrivée de la veille pour revenir sur le glacier puis remonter sur la D pour suivre les autres marques de peinture qui jalonnent l'itinéraire de montée au refuge du Requin. C'est que l'on encore faire en 2021...
En 2021, avant toute décision péremptoire, renseignez-vous auprès du gardien du refuge pour connaître la qualité de la descente directe !
Une fois sur le glacier on retrouve les marques de peinture et les quelques cairns disposés ça et là. On suit cette signalisation pour se diriger vers la RG de la cascade de séracs du glacier du Tacul pour trouver le passage juste avant les premiers blocs, passage qui permet de rejoindre la partie solide de la moraine latérale sur laquelle court le sentier historique. Avant de monter au refuge du Requin, on a pu s'adonner à une école de glace, un exercice toujours rébarbatif mais un très bon indicateur du niveau technique atteint... Au refuge à 2516m, soleil plombant vers les 13-14 heures. Il est préférable d'aller "casser une graine" puis de négocier la possibilité d'entrer dans les dortoirs pour s'adonner à une petite sieste.
Ce n'est que vers 17 heures que l'on pourra ressortir pour déguster les panoramas exceptionnels distillés aux quatre coins de l'horizon, et à une autre échelle que celle dont on disposait au précédent refuge... Du S au N, rien que ça ! Les Drus, l'Aiguille Verte, l'arête des Ecclésiastiques, le bassin de Talèfre, l'Aiguille du Tacul, les arêtes de Rochefort, le Mont Mallet, la Dent du Géant, l'Aiguille d'Entrêves, la Tour Ronde et même le Mont-Blanc du Tacul. Et j'en oublie... Derrière nous, les Charmoz, le Grépon, la Dent du Requin et le début de la Vallée Blanche marqué par la présence du Petit Rognon. On n'est pas volé, loin s'en faut...
Jour 3 : Au matin, descente du refuge par le sentier d'arrivée d'hier. On se retrouve à la base de la cascade de séracs et on traverse la langue glaciaire pour rejoindre la RD. On a à traverser quelques bédières, ces torrents de surface où l'eau de fonte s'écoule avant qu'elle ne disparaisse dans un moulin pour ne réapparaître qu'à l'extrémité de la langue terminale quelques kilomètres en aval. Les traversées sont à négocier avec énormément de précaution et si possible en étant encordé. Le risque est grand de glisser et de se voir entraîné dans la rigole, parfois assez large, et s'encastrer dans le conduit du moulin... A part ça, le glacier est recouvert à maints endroits de caillasse tombée des moraines et l'usage des crampons n'est pas obligatoire. On descend tranquillement jusqu'à la confluence des vallées située au pied de l'Aiguille du Moine.
On s'enroule autour de la base de l'Aiguille du Tacul et on prend pied sur le glacier de Leschaux. Un peu de remontée en diagonale à présent pour rejoindre le centre puis tranquillement viser la base de l'Aiguille de Pierre Joseph sur laquelle est érigé le refuge de Leschaux. Situé en haut de la moraine terreuse RD, il ne restait en 1995 qu'une trentaine de mètres à remonter pour atteindre les toilettes du refuge puis le corps du bâtiment principal (en 2021, les conditions d'accès ont évolué, voir la rubrique Accès au refuge de Leschaux par les échelles). Depuis la terrasse du refuge, on surplombe la totalité du Glacier de Leschaux de son bassin d'alimentation au pied des Petites Jorasses jusquà sa confluence avec la Mer de Glace. On a une vue très élargie sur les montagnes qui marquent la frontière avec l'Italie : col des Hirondelles, Grandes Jorasses, le Dôme de Rochefort, le Mont Mallet (bon, d'accord, il est entièrement français celui-là...) et la Dent du Géant ; à l'avant la masse impressionnante d'où qu'on la regarde de l'Aiguille du Tacul (à ne pas confondre avec le Mont-Blanc du Tacul...).
Jour 4 : On va s'élever au-dessus du refuge pour pratiquement venir buter sur la face W de l'Aiguille de Pierre Joseph avant de poursuivre sur le sentier qui sinue vers le N au pied de la falaise. Un peu de up / down pour rejoindre le lieu-dit "La Pierre à Bérenger" et ainsi se dégager de la falaise oppressante pour découvrir le glacier de Talèfre bordé en RD par l'arête des Ecclésiastiques (pourquoi ce nom ? Eh bien, la pointe la plus à gauche est celle du Moine, puis viennent la Nonne, l'Evêque, l'Enfant de Choeur et le Cardinal. La dernière "pointe" tout en haut du couloir verglassé est l'Aiguille Verte qui avec ses 4122m sous la toise se révèle être pour seulement 19 mètres le plus haut sommet entièrement en France, base comprise... le second étant la Barre des Ecrins). On traverse les bandes de neige qui font suite à la langue du Glacier de Talèfre pour rejoindre les banquettes herbeuses en RD et sur lesquelles a été construit le refuge du Couvercle (l'historique, une cabane "argentée" érigée sous "La Pierre du Couvercle" et le beaucoup plus récent, une belle bâtisse en pierre de taille).
Jour 5 : Journée optionnelle si l'on n'a que 5 jours à consacrer à ce circuit mais journée passionnante qui va permettre de se rendre au pied du couloir Whymper, la directissime glaciaire d'ascension au sommet de l'Aiguille Verte dont on va approcher le sommet à seulement 700 mètres, horriblement pentus... Du bord de la rimaye, on embrasse du regard la totalité du bassin de Talèfre en ayant pris du recul sur la Mer de Glace. On y découvre pas mal de recoins qui restaient cachés alors que l'on était 800 mètres plus bas. 3400m, ce sera l'altitude la plus élevée que l'on atteindra lors de cette course itinérante. On en profitera, alors que l'on a suivi la RD du glacier au pied de l'arête des Ecclésiastiques, au retour pour aller folâtrer du côté du Jardin de Talèfre, un exceptionnel ilôt de diversité botanique au milieu de ce monde minéral. Très étudié par l'INRA entre autres, ce "jardin", naturel, présente une flore particulière où l'on trouve pas mal de spécimens présentes dans les régions arctiques. Retour au refuge du Couvercle pour une deuxième nuit avec à nouveau l'opportunité de profiter du coucher de soleil sur la Mer de Glace et demain matin, puisque l'heure de départ ne sera pas trop matinale, d'une aube rougeoyante sur la Vallée Blanche, le Glacier du Géant et le Mont-Blanc.
Jour 6 : On va finir ce tour de la Mer de Glace par la liaison vers le refuge de la Charpoua. Certes, ce n'est pas le sentier le plus facile de notre semaine car on doit franchir de nombreux passages équipés d'échelles et de mains courantes. Bien sûr, il est possible de redescendre fissa vers Chamonix en descendant la dizaine d'échelles des Egralets pour traverser la Mer de Glace et remonter en face jusqu'à la gare du Montenvers mais l'itinéraire qui rejoint le vallon de la Charpoua propose tout du long un belvédère à nul autre pareil sur la confluence des glaciers de Leschaux et du Tacul. Une fois à l'entrée du cirque de la Charpoua dominé par les Drus, la Verte et l'arête des Ecclésiastiques, on peut, ou pas, décider de rendre visite à la cabane en bois du refuge d'alpinistes à 2841m. Le détour est conseillé, tant pour la vue, quasi à hauteur du sommet des Aiguilles de Chamonix en face, que pour l'atmosphère très "alpiniste" qui y règne et que l'on ressent par la concentration des cordées présentes et qui se préparent pour la course du lendemain. Peu de randonneurs viennent par ici et on n'y parle qu'ascensions, de technique d'escalade... On parle Drus, Verte et d'autres, mais rien de facile ! Il faut dire que les aiguilles qui dominent la cabane ont de quoi susciter des interrogations et quelques appréhensions tant leurs faces sont redressées et austères... Du refuge, deux possibilités de descente pour retrouver la civilisation ce soir : elle se rencontrera dès que l'on aura désescaladé les échelles (d'un côté ou de l'autre de l'Eperon du Géographe...), traversé le fleuve de glace et remonté jusqu'à la gare du Montenvers. Vous serez entouré de touristes ébahis, la peau brûlée au 2ème ou 3ème degré, recrus de fatigue, leur progéniture excitée (ou alors exténuée et endormie, c'est plutôt mieux, non ?) alors que vous en serez encore à écarquiller les yeux pour "voler" encore quelques moments de contemplation afin de garder en mémoire quelques uns des passages où vous êtes passés durant ce périple de la semaine. Mais, une fois que la rame du petit train crémaillère se sera mise en branle, vous ne verrez plus grand chose car l'univers de la Mer de Glace se sera refermé, à tout jamais ? non, car le souvenir pregnant restera longtemps en vous et je parie que vous ne souhaiterez qu'une chose, et encore pendant longtemps, ce sera d'y revenir pour accomplir une nouvelle fois cet itinéraire d'exception...
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