Traversée Saipal et Dolpo (episode 4)

Mardi 12 septembre : Ce matin, après une bonne nuit réparatrice aux rêves pleins de héros à la coiffure impeccable, quand je sors dans la cour devant le lodge pour siroter mon thé local (ce n'est pas vraiment du thé, je n'arrive pas à savoir ce que c'est, ça semble venir du Tibet, mais c'est vraiment bon, alors...!), des muletiers sont en train de préparer avec sérieux les ballots qui vont prendre place sur le dos des mules. Il ne s'agit plus d'électroménager ni de produits alimentaires, non, non, mais de nourriture spirituelle qu'ils sont en train de mettre dans des sacs les plus étanches possible. Je m'explique : ce sont des rouleaux à prières, donc du papier, d'où l'importance qu'ils ne prennent pas la pluie..., qui, lorsqu'ils arriveront à Mugu ou dans des villages à proximité, viendront prendre place dans leur carapace de cuivre ou de laiton pour former les murs de manis dans lesquels sont insérés les moulins à prières. Après 1h30 de marche, voici notre premier village bouddhiste du périple, Saipal et Simikot - Gamgadhi inclus, dans lequel on parle tibétain. A Mangri, il y a bien une école népalaise mais le matri bhasa (la langue maternelle) est de rigueur...

Le ciel bleu est revenu, ça fait du bien, certes, mais le cocktail soleil + ambiance humide résultant des derniers jours de pluie intense qu'a connue la région fait qu'il est assez pénible d'avancer... On va pas se plaindre quand même ! Ah, ces Français... Aujourd'hui petite incartade au tracé de la GHT avec la remontée de la vallée fluviale sur un sentier bucolique à souhait, et ombragé... pour aller se poser pour la nuit dans le village de Pulu isolé du trafic de mules d'au moins 50 mètres. Si, si, c'est énorme car c'est la largeur de la rivière : nous sommes en rive gauche et les convois de mules passent en rive droite ! Et avec le bruit du cours d'eau, ça couvre tout ! Soirée avec un couple de Népalais Lama (c'est un groupe ethnique qui fait partie de la famille des Tamangs) qui viennent d'avoir leur premier garçon il y a tout juste un mois. Question : et pour accoucher, comment avez-vous fait ? Réponse : juste descendre à pieds pendant 2 jours et remonter à Gamgadhi pour s'entendre dire à l'antenne médicale qu'il n'y avait pas de place... et qu'il fallait aller vers Jumla en bus (5 à 6 heures de piste à cahots). Si, avec ça, la femme a accouché dans de bonnes conditions, c'est que le môme était bien accroché. Le retour à la maison ? Bus dans l'autre sens et 2 jours de marche, ben voyons...!

Mercredi 13 septembre : Dès le départ, traversée d'un thalweg sur un pont de fortune après que la rivière a tout emporté sur son passage suite à la rupture du barrage morainique du lac situé en amont 2000 mètres plus haut. La suite, c'est que le trop d'eau a créé un lac de boue grise qui recouvre le sentier historique et qu'il va falloir se déchausser pour parcourir une cinquantaine de mètres avec de l'eau à mi-cuisses (des fois un peu plus...) en suivant la base de la falaise. Très glissant ! Juste derrière, ça change du tout au tout car le sentier historique n'étant plus viabilisé en RG, on va repasser RD par une passerelle métallique et découvrir 30 minutes plus loin qu'il existe un autre Pulu (le nouveau...) qui s'est créé en bordure de la route commerciale Gamgadhi - Mugu avec lodges, boutiques et surtout un check-post de la police népalaise où les étrangers doivent se faire référencer et où l'on vérifie que vous êtes bien en possession du permis haut Dolpo pour être autorisé à poursuivre la remontée de la vallée...

Journée très courte car les seuls hébergements valables se situent à Tiyar, nous nous entendons dire... On aurait pu jouer les fous de la performance en enchaînant les 5 à 6 heures de marche qui permettaient de rejoindre l'étape suivante. Mais non, on a décidé de profiter d'une journée chez une sympathique famille d'origine tibétaine. Par contre, pas de visite du gonpa (le temple bouddhiste) car le lama a décidé de prendre des congés et est redescendu dans la vallée, et comme il est tout seul, walou...! pas de visite du gonpa !

Jeudi 14 septembre : Aujourd'hui, au programme, petits ennuis gastriques...! Il fallait bien que ça se produise à un moment ou un autre... Ca m'a pas mal affaibli sur cette journée longue mais au profil vraiment peu difficile. J'ai dû puiser dans mes ressources plus que de raison à cause de l'ambiance hyper-tropicale de la journée (chaleur et humidité résultant de l'orage de la veille). Atténuation des douleurs intestinales jusqu'au lunch puis réveil des douleurs au moment des grimpettes. Casse-pattes ! Et l'impression que la journée n'en finira jamais... La dernière demi-heure sera calme et pour le dîner, riz blanc comme de bien entendu !

Vendredi 15 septembre : Après une nuit paisible, départ pour Mugu, un village vers lequel on ne se rend pas forcément sur le parcours de la traversée N du haut Dolpo. Tout au plus, on prévoit une journée en A/R par curiosité. Dans mon cas précis, comme j'ai pas mal de temps devant moi et que je peux varier les descentes sur Dunaï à mon bon vouloir puisque j'ai déjà réalisé quelques treks sur place et que je connais déjà pas mal d'itinéraires, j'ai décidé de m'octroyer une journée étape à Mugu et le lendemain une journée de descente tranquille pour refaire une nuit à Shilenchaura kharka, histoire de me remettre d'aplomb avant d'entamer les 8 jours de traversée très éreintante en altitude (entre 4000 et 5500m) : c'est la grosse partie du périple et je veux mettre tous les atouts de mon côté pour que ce ne soit pas une galère... Ce que j'ai subi hier m'a pas mal affaibli. Alors deux jours de quasi repos, c'est pas du luxe !

A Mugu, on est hébergé chez la fille aînée de la dame qui nous accueille à Shilenchaura kharka. On reste en famille et, à Mugu, c'est super sympa. On dort dans les sous-pentes de l'une des très vieilles maisons qui ne se soit pas écroulée, mais très propre et bien entretenue, enfin comme ils peuvent par ici... En aucun cas, Mugu ne pourra concourir pour entrer dans le Top 10 des plus beaux villages du Népal, c'est une certitude...! Les habitations pour la plupart d'entres elles sont "modernes" avec des toits en tôle bleue et des pierres taillées ajustées en blocs disgrâcieux... Longtemps situé sur une route commerciale entre la Chine et les vallées de la Karnali, Mugu "souffre" de la fermeture de la frontière par les Chinois il y a 4 ans au début de la crise Covid-19 chez eux. La route commerciale s'est vue arrêtée d'un coup et les habitants de la vallée ne savent toujours pas si ça va rouvrir et quand.... Pour dire : sur la carte népalaise NP109 de 2017 avait même été dessinée préventivement une piste de 30kms depuis la frontière jusqu'à Shilenchaura kharka ! Un mal pour un bien, la vallée a été préservée ! Par contre, pour les habitants de Mugu, à présent tout est devenu cher car ils se trouvent tout au bout de la chaîne d'alimentation et les 4 jours de transport par mules depuis Gamgadhi se font sentir dans le prix de toute chose...

Samedi 16 septembre : Dans la très vieille maison qui nous a servi d'hébergement pour la nuit, il y a toute une vie ! La maisonnée est tenue par la mère, infatigable, et dont tous les gestes sont précis, mesurés et économes de temps et de déplacements. La cuisine est son domaine. Sa belle-fille la seconde du mieux qu'elle peut quand elle n'est pas accaparée par sa dernière née, insatiable quand il s'agit de téter... Le fils, lui, paraît un peu effacé mais il a toute sa place de chef de famille en l'absence du père.

Et puis il y a l'Ancêtre (avec un A majuscule...), difficile de qualifier autrement la mère de la mère. Quel personnage ! 86 ans n'ayant connu dans toute sa vie que le périmètre de la vallée de Mugu, la peau parcheminée, "quelques" douleurs articulaires mais toujours vaillante et agile comme un chat à monter et à descendre les marches patinées par l'usage des échelles de bois taillées dans des demi-rondins de bois placés entre chaque plateau de la maison et présentant une inclinaison de plus de 60°... Elle charrie à longueur de journée de bas en haut du bois pour le four de la pièce principale. Et puis, elle doit avoir un sacré caractère à voir les prises de bec avec son petit-fils... malheureusement, impossible d'en capter un moindre mot car ils utilisent entre eux un dialecte immémorial qui n'a cours que dans la vallée de Mugu et fortement imprégné, mais pas que ça, de tibétain.

Le fils est préposé le matin à l'entretien de l'autel rituel de la maisonnée à savoir, entre autres, de procéder au remplissage des lumignons à huile, de faire des offrandes de grains de riz et de remettre de l'encens dans le réceptacle idoine. Le poêle à bois est le centre de la pièce. Tout le monde, famille ou invités, s'affaire, qui pour transférer l'eau montée à dos d'homme (non, non, je rigole... de femme !) d'un jerrican à une cruche puis, une fois chauffée, vers des gros thermos chinois, qui pour préparer la pâte à chapatis, qui pour les étaler, qui pour les cuire et un autre pour les retourner... C'est que c'est une affaire très sérieuse, les rotis, comme ils disent... Le but de cette synchronisation qui ne dit pas son nom, c'est l'économie du bois de chauffe qu'il faut aller chercher à dos d'homme (ou de femme...) de plus en plus haut dans la vallée. Et pendant ce temps-là, l'Ancêtre sirote son thé salé au beurre de yack et lèche le fond du bol pour lapper le beurre qui s'y est aggloméré. Cela ne n'empêche pas son regard aiguisé de se poser sur tout ce qui se réalise autour d'elle, n'hésitant pas par quelques réparties bien directes de dire ce qu'elle en pense...

Dimanche 17 septembre : Après ces deux jours de semi-repos, c'est le grand départ vers l'inconnu, pour moi, heureusement pas pour ceux qui m'accompagnent... Il va se passer 7 jours au minimum avant que l'on ne rencontre une présence humaine au village de Pho et un ou deux de plus pour atteindre Bhijer, la "capitale" du N du haut Dolpo où on retrouvera de la téléphonie et où l'on pourra refaire des réserves de vivres. Car pendant ces 7 jours qui se dérouleront entre 4000 et 5600m, ce sera le grand vide et nous devrons vivre sur ce que nous avons sur le dos, bois de chauffe compris car à ces altitudes, et peut-être aussi dans la froidure voire l'humidité, le mode d'alimentation des Népalais fait essentiellement de riz, de lentilles et de pommes de terre met tellement de temps à cuire qu'il faudrait utiliser plusieurs dizaines de recharges de gaz... Donc, on va compter sur la présence de bois mort au niveau des camps et lorsque le camp sera établi dans un endroit qui en est dépourvu, on ne se sustentera que de noodle soup. Le mot "expédition" prend ici tout son sens pour ces seuls 7 jours ! On sera livrés à nous-mêmes, en autarcie. C'est a priori, à ma connaissance (et peut-être tout au N de la vallée de Limi...?), le seul endroit au Népal où l'on ne rencontre aucune infrastructure de type bhatti ou hôtel simple pendant une aussi longue période sur un chemin référencé et tracé sur les cartes, en l'occurrence la GHT. Quant à croiser du monde, ça peut se faire mais ils auront les mêmes contraintes que nous autres...

Mais ce matin, la question se pose : on y va ? on n'y va pas...? Il a plu toute la nuit mais la couche de nuages qui encombre l'étroite vallée "semble" vouloir se fracturer et la lumière se fait (un peu...) plus intense. L'espoir est, qu'une fois passée la journée "forêt humide" qui est annoncée (qu'il fasse soleil ou pluie, c'est du pareil au même, on sera trempé comme des linges une fois que l'on aura traversé la jungle, comme ils disent...), on se retrouvera sur le premier haut plateau du Dolpo et peut-être au-dessus de la couche nuageuse. Qui sait ? C'est un pari... Allez ! Mouillé pour mouillé, on y va ! Les deux premières heures sont à la hauteur de l'attente... Jungle où il faut se frayer un passage dans ce paradis pour junkies où la marijuana pousse sans aucune difficulté... Après, ça devient moins touffu voire étonnamment bien viabilisé à l'approche d'un cirque glaciaire (c'était inattendu car il a fallu une seule éclaircie pour que l'on puisse découvrir notre premier glacier suspendu du trek !). On fait la pause lunch au milieu d'un champ de carottes sauvages de 2 mètres de haut quand même... Tant pis pour les junkies, on ne reverra plus de marijuana pendant quelques jours...! Un feu vite construit avec du bois sec charrié par le torrent lors de ses crues, une cocotte-minute remplie de riz blanc, une assiette bien savoureuse mêlant riz et champignons collectés lors de la montée...

Et le soleil fait son apparition, y a-t-il un plus bel endroit ? Le suite de la journée se révèlera plus cassante avec un "sentier" support de la GHT qui ressemble davantage à une draille à moutons qu'à un itinéraire de grande randonnée himalayenne. On pose le pied sur la yersa de Thajuchaur (c'est un alpage sur lequel on vient laisser les yacks tout l'été pour qu'ils prennent du gras et de la viande...). On le traverse quasi intégralement pour rejoindre un camp auprès d'une source. Juste le temps de monter les tentes qu'une bruine fait son apparition. Une journée rondement menée, non ? Et puis, ce que j'exposais en introduction de cette journée, à savoir que l'on ne rencontrerait pas grand monde pendant 7 jours, eh bien, à peine plus de 30 minutes après que l'on se soit installé, voici nos trois premiers invités de la soirée pour le tea-time, des habitants de Mangri qui sont venus quérir sur les alpages une précieuse denrée, le jimbu. Ca se vend à prix d'or sur les étals des marchés dans la vallée (et encore davantage si on la rapporte à Kathmandu et qu'on la propose à Asan Tole...), c'est utilisé pour parfumer le dal bhat, qu'est-ce donc ? Tout simplement de la ciboulette...

Lundi 18 septembre : Ce matin au réveil tout est bouché, mais bouché bouché... Il bruine un peu mais "la pluie du matin n'arrête pas le pèlerin" dit-on... On plie les tentes (on aurait mieux fait de les essorer...) et vers 8 heures c'est le départ vers le Chyargo La pour 1100 mètres de grimpette. Dès l'entame, je sens que ça ne va pas le faire : il fait froid, il pleuviote et les premières pentes me rappellent bien vite que je me trouve au-dessus de 4000m. Les porteurs foncent devant et je demande à mon guide Mane de les rattraper pour les ralentir car je pense que le franchissement du col, ça ne sera pas pour aujourd'hui... Je m'en remets aux sages préconisations de l'Ifremmont qui stipulent "au-dessus de 4000m, en phase d'acclimatation, pas plus de 500m de dénivelée entre deux nuits". Certes, franchir le col et redescendre de l'autre côté rentre dans les critères mais 1100 mètres après les 1225 d'hier, j'ai un peu peur de l'overdose ! La conformation du terrain s'y prête bien : ce ne sont qu'enchaînements de plateaux inclinés au milieu desquels coule de l'eau. Je décide que l'on va se faire un camp intermédiaire vers 4600m, histoire de couper en deux la bambée prédite. On se trouve un camp de cueilleurs de yarsagumba à tout juste pile poil 4600m d'altitude. Et "cerise sur le gâteau", des grands pans de ciel bleu accompagnés d'un franc soleil nous font voir la vallée que l'on est en train de remonter sous un tout autre jour ! Je pense que l'on a fait le bon choix et, bien que la journée de marche n'ait duré que 2 heures et demie, je vais pouvoir parfaire mon acclimatation sous la tente que les rayons du soleil réchauffent.

Mardi 19 septembre : Mais qu'est-ce que j'ai eu une bonne idée en proposant hier un camp intermédiaire à mi-chemin du col ! Aujourd'hui, la montée est passée "comme une fleur" et j'arrive au camp après plus de 1500m de descente "frais comme un gardon"... Une journée parfaitement réussie... et sous le soleil par dessus le marché ! Pourtant ce n'était pas gagné : la nuit a vu passer une succession d'averses de 5mn à la fréquence d'une toutes les 10mn...!  Et puis, au lever à 7 heures, ça s'est arrêté et le ciel s'est déchiré pour nous offrir la vision de notre premier sommet glaciaire du trek, la Kuldum danda et ses 5918m qui faisait le beau sous les rayons du soleil levant. La montée vers le col s'est faite dans les nuages qui remontaient de la vallée mais sans humidité. En 2 heures pile poil, c'était bâclé !

Le soleil nous a accueillis côté Dolpo (ce premier col marque l'entrée dans cette région népalaise plutôt reculée située en bordure de la frontière tibétaine). La longue descente de la vallée s'est déroulée avec bonheur sous le ciel bleu. A la pause lunch, on m'a fait goûter un "thé" local composé de filaments de racines de rhubarbe infusées. C'est délicieux ! Pour le camp de ce soir, le bon côté c'est que l'on a monté les tentes dans une clairière de pins et de bouleaux avec une source confidentielle qui sourd au beau milieu du site, le moins bon côté, c'est qu'on se retrouve à 3780m d'altitude, on va mieux dormir, certes, mais c'est dommage d'avoir perdu cette altitude que l'on avait si chèrement gagnée...

Mercredi 20 septembre : Que dire d'une journée comme celle-là ? On pourrait en écrire des tonnes tant elle fut dense, imprévisible et tellement exceptionnelle... A la fin de cette journée, Mane m'affirme que l'on en a terminé avec les "n'importe quoi" de la GHT. Eh bien, aujourd'hui, la GHT a montré tout ce dont elle était capable ! L'ambiance sauvage était présente, même peut-être de temps en temps un peu trop, par exemple :
- côté infrastructures permettant de franchir des rivières : à 3 occasions il a été nécessaire de franchir des cours d'eau à fort débit sur des rondins de bouleau heureusement solides et bien arrimés,
- sur ces "sentiers" d'altitude de 30cm de large que l'on devine sous les pieds car ils sont immergés dans une végétation de landes épineuses... Les "sentiers" qu'elle emprunte sont ceux des locaux qui viennent à l'été cueillir la yarsagumba et pas ceux que l'on pourrait attendre comme support de grande randonnée...

La trace représentée sur les cartes népalaises correspondant au parcours de la journée ne contient pas, par le simple trait qui est porté sur le fond de plan, la complexité de l'itinéraire et les niveaux techniques et physiques dont l'impétrant doit faire preuve. Exemples :
- cette montée d'une incroyable raideur, la descente de l'autre côté du pareil au même mais en sens inverse...,
- les contournements de falaises détritiques où le pied ne s'accoche que par miracle au conglomérat de sable et de gravillons,
- les traversées d'éboulements terreux 10 mètres au-dessus du courant d'une rivière à fort débit, etc.

Je crois qu'il ne m'a jamais été donné d'être autant de fois sur une période aussi courte confronté à autant d'écueils à contourner ou à surmonter. Ca peut se produire occasionnellement une fois ou deux au cours d'une randonnée au long cours. Ici, sur la GHT, c'est du permanent, et le principal souci c'est celui de ne pas savoir ce que Mère Nature nous aura inventé juste quelques mètres devant nous...

Jeudi 21 septembre : Après la journée dantesque de la veille, il est sûr qu'il n'y a pas grand chose à raconter aujourd'hui sur cette demi-journée de marche d'approche du col que l'on doit franchir demain. Comme il n'y aura pas de bois au bivouac pour faire cuire le dal bhat de ce soir (c'est incontournable pour un Népalais...!), nous avons taillé des branches ce matin avant de quitter la forêt et les avons transportées sur nos sacs pour que l'on puisse cuisiner ce soir... Bon ! 500m de dénivelée sur 3 heures de temps de marche, ça ne nous a pas trop pesé, ni fatigué... On se pose "au milieu de nulle part".

Même pas un yack au pâturage, c'est dire que c'est tellement loin d'un village de la vallée que les villageois n'y viennent pas pour leurs troupeaux... Par contre, à la fin du printemps début de l'été, il doit y avoir un peu de monde pour glaner la yarsagumba... Ah si, j'oubliais, on a subi notre première demi-heure de pluie en chemin depuis le départ de Gamgadhi ! Il fallait quand même le noter. J'ai dû sortir la cape de pluie du sac... Pour l'instant, côté météo, on est plutôt gâtés ! Pourvu que ça dure...

Pas grand chose à raconter, disais-je en introduction à cette journée ? Eh bien, comme il est de coutume depuis le début de ce trek de composer avec une météo changeante, et ce très rapidement, voici que le ciel s'est subitement dégagé en ce milieu d'après-midi de cette couche de nuages que l'on croyait devoir garder jusqu'à la nuit et que le paysage s'est mué comme dans un rêve éveillé ! La frustration matinale de n'avoir pu admirer que très partiellement le fond de la haute vallée de la Chyandi khola est tombée d'un coup lorsque nous avons découvert du haut du mamelon voisin du campement la beauté de ce cirque glaciaire frontière de la Chine. Un beau pic dressé vers le ciel, de somptueux glaciers fleuves et des mélanges de couleurs propres aux éclairages d'un milieu d'après-midi au Népal avec un soleil qui exacerbe les reliefs. Ah ! Une journée réussie...!

Vendredi 22 septembre : On a quand même du bol ! La météo nous en fait voir des vertes et des pas mûres mais à chaque fois qu'il y a un truc important, que ce soit technique (le franchissement d'un col par exemple) ou bien contemplatif (de beaux panoramas sur des chaînes de montagnes glaciaires ou sur des vallées remarquables), eh bien, elle nous gratifie de ses plus beaux atours et on peut en profiter à notre aise... Pourvu que ça dure !

Ca a été le cas ce matin lors du franchissement du Yala La, à 5425m quand même..., pendant toute la montée le temps a été clément (j'en connais plusieurs qui se le sont fait sous la pluie, et pas qu'une seule personne, et pas qu'une seule fois...). Et même, le ciel a déchiré sa couche de nuages qui a suivi les averses qui se sont produites vers 6 heures pour nous gratifier de belles vues sur les montagnes glaciaires alentours...

La descente de l'autre côté a été du pareil au même avec des conditions idéales pour profiter de la beauté "ladakhie" de cette vallée de la Swaksa khola. Jusqu'à nous laisser le temps de monter les tentes vers 15 heures avant de nous les rincer d'une belle averse...! Merci Madame Météo... Accalmie pour la soirée, on va pouvoir manger autour du feu de camp. Mais, à 4800m d'altitude, il n'y a pas grand chose à brûler comme bois de chauffe. On a bien glané alentours quelques branches mortes de bruyères mais ça ne va pas le faire...! Alors ? La kharka sur laquelle on a établi le bivouac est le lieu d'estive des yacks des villageois de Pho qui se trouve de l'autre côté du col que l'on doit franchir après-demain. Transhumance à chaque fin de printemps dès que le col est libre de neige, retour au tout début de l'automne avant que le col ne soit pris par la glace... Le rapport avec les yacks ? C'est que la bouse de ces animaux, celle de l'année dernière bien sûr, celle qui a été congelée en hiver puis mouillée en été puis séchée juste après, sert de combustible de chauffage et de cuisine dans tous les villages du Dolpo et du Mustang où les arbres ne poussent pas du fait de l'altitude et du manque d'eau. Eh bien, il n'y a qu'à se baisser... La fumée est un peu acre mais on n'est pas obligé de rester sous le vent ! Sinon, côté gustatif, pas d'incidence sur ce qui est cuisiné, tant mieux...

Samedi 23 septembre : Aujourd'hui, marche d'approche pour aller se poser au camp de base du Ridge Pass à plus de 5000m. C'est ce même col que franchissent les yacks lors de la transhumance, de toutes les manières il n'y en a pas d'autres (plus de 5500m quand même, alors autant s'en approcher pour que la journée du lendemain soit moins pénible...). Début de journée tranquille avec une descente le long de la rivière d'une heure avant de bifurquer pour remonter le couloir d'un millier de mètres de dénivelée issu du col (un peu plus de 3 Tours Eiffel mises bout à bout...). A cette altitude, on aura du mal à trouver de l'eau et du bois. Pour l'eau, c'est simple, le cours d'eau a été enseveli par les éboulements latéraux. L'eau n'apparaît au grand jour qu'entre 4650 et 4700m. Et, comme on n'est pas sûr d'en trouver là-haut au bivouac, il vaut mieux prendre ses précautions et remplir gourdes et outres au cas où...

Pour le bois, déjà qu'à 4700m on n'avait pas de bois mais la solution de remplacement avait été la bouse de yack séchée, là haut à 5065m il n'y aura pas davantage de bois et le yack n'y faisant que passer lors de son aller-retour de transhumance ne laisse rien... Que faire ? Eh bien, couper quelques branches mortes des arbustes qui végètent à la base du couloir vers 4500m, en faire des fagots et les transporter sur le dos sur les 550m de dénivelée de remontée du couloir, quoi...? Si fait : 3 à 4kg de bois chacun, plus 3kg d'eau un peu plus haut, la montée sera un peu plus difficile. Mais on l'aura fait et nous pourrons cuisiner le bon dal bhat népalais... Arrivés au bivouac, ouf ! il y a de l'eau qui sourd de la moraine. C'était pas gagné car la saison est avancée ! Encore une fois, Madame Météo nous a eus "à la bonne" : elle nous a laissé le temps de monter les tentes avant de nous lâcher une tempête de grésil accompagnée de vent froid "pas piqué des hannetons". Et à cette altitude-là, on le sent passer si on n'est pas à l'abri...

Dimanche 24 septembre : Après une nuit passée au "frigo", la journée "crêtes à gogo" qui nous attend à plus de 5500 mètres d'altitude risque d'être difficile : l'altitude, certes, ce sera le maximum que l'on atteindra durant tout ce périple de 45 jours de marche (voir épisodes 2 et 3 qui précèdent le 4 que vous êtes en train de consuter avant le 5 à venir...), le temps que l'on va y rester (à peu près 3 heures à faire du up / down mais aussi si Madame Météo nous fait "faux bond" (mais cela n'a pas l'air d'être dans ses habitudes jusqu'à présent...)).

Encore merci, la météo du jour a été excellente, heureusement, et que la bambée entre terre et ciel a été à la hauteur, et même plus, dirais-je, des espérances côté panoramas car côté forme du bonhomme, il les a sentis passer les 5500 mètres. Au 2ème col, il était rincé et toutes les petites grimpettes qui ont suivi le passage au sommet, le Nyingma Gyaltzen La à 5565m (noter, à coup sûr, la plus haute cabine téléphonique du haut Dolpo, sur un sentier "officiel" bien évidemment... super connexion "voix"), ainsi que la longue descente qui a suivi jusqu'à atteindre le lodge de Pho ont été pénibles. Pas de MAM (Mal Aigu des Montagnes), non, mais une grosse grosse lassitude... Heureusement que la soirée au lodge de Pho a été revigorante et que la nuit a été réparatrice ! Et puis, revenir sur le "plancher des vaches" (pardon "... des yacks"), à 4100m d'altitude quand même, ça ne peut pas faire de mal !

Voilà ! C'est la fin de l'épisode 4 "Traversée du nord du haut Dolpo". La suite du périple dans l'épisode 5 qui n'a pas encore de nom mais qui pourrait se trouver dans cette phrase "Finissons ce périple dans le haut Dolpo en rejoignant un aérodrome en 10 jours de marche au travers des cols et des villages du haut Dolpo"...

Pho, le dimanche 24 septembre à 19h00, heure locale.