Traversée Saipal et Dolpo (episode 2)
- Le 26/08/2023
- Dans Voyages
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Samedi 27 août matin : Comme convenu avec la compagnie aérienne la veille, nous voici pile poil au rendez-vous avant les aurores devant le guichet de l'aéroport. Pas mal d'agents de la compagnie s'affairent mais le doute est toujours présent : le départ avorté hier après-midi est encore présent dans les mémoires et comme il a encore bien plu toute la nuit, parfois avec une grosse intensité (certes, ce qui est tombé ne tombera plus mais les queues de mousson peuvent être violentes et répétées......), on ne peut pas être rassuré par la versatilité de Madame Météo !
Vers 7 heures les bagages sont enregistrés et nous sommes 14 à vouloir rejoindre Simikot. Certains, comme nous, attendent depuis 4 jours ou plus... Comme d'hab', la compagnie fait passer une rotation avant la nôtre vers Juphal (alors que les bagages de ces passagers ont été enregistrés 30 minutes après nous... va comprendre, Charles !) et on nous convoque vers 8 heures et demie dans la salle d'embarquement. Nous sommes seuls dans cette salle hyper réfrigérée alors qu'il ne fait pas si chaud et humide que ça... et nous passons notre temps à scruter la piste d'atterrissage pour voir revenir notre vaisseau (pourquoi "vaisseau" ? parce qu'en népali le mot originel de l'avion est "hawaï jahaj", le vaisseau du vent, si, si ! Bon maintenant les jeunes générations disent "plane"...).
Vers 9 heures, le 20 places de Summit air se pose sur le tarmac de l'aéroport de Népalgunj et laisse descendre ses passagers. On s'attend à repartir très vite mais l'attente s'éternise. On comprendra plus tard : sur ce bimoteur, il n'y a pas de soute à bagages et toutes les charges sont entreposées à l'avant de l'appareil à la place de sièges passagers qui sont repliés pour l'occasion. Ce qui offre à cet appareil de devenir un 100% cargo si besoin est ! Bref, on se dirige vers l'appareil, on embarque et le décollage se fait en douceur dans un ciel brumeux mais libre de gros nuages. Ouf ! Le vol se déroule de la meilleure des manières sans trou d'air. La route suivie est plein nord à l'altitude 3600m que l'on gagne lentement en s'élevant au-dessus de la plaine du Téraï. Que de rizières en-dessous ! Et pas mal d'habitations aussi, des groupes d'une dizaine / vingtaine de maisons au milieu des champs irrigués. Puis l'avion franchit le premier col du Mahabharat, cette chaîne de montagnes de 2000 à 3500m que la plaque indienne a formée en compressant le plateau tibétain et créant, juste au passage, rien que la chaîne himalayenne, cette zone de collines s'apparentant à un silent-block. Le Mahabharat est souvent le lieu des épicentres des séismes ravageurs qu'a connus le Népal lors des siècles derniers et la dernière fois en 2015... Le tracé de la route aérienne est plutôt direct et compose avec la conformation du terrain, des "collines" (les "hills", c'est la dénotation locale népalaise...) aux pentes redressées sur lesquelles s'accrochent des champs en terrasse d'altitude et des maisons isolées. Par contre, il y a des pistes routières partout, mais vraiment partout ! Sont-elles encore opérationnelles ? Pas sûr du tout... Le fil conducteur de la route aérienne est la Karnali nadi, le gros fleuve qui concentre les eaux de fonte de la région ouest du Népal. Et on peut dire que, vu d'en haut, ça bouillonne grave au fond de l'étroit sillon que la rivière a creusé ! On aura l'occasion de s'en apercevoir dès la première journée de trek puisqu'il faudra la traverser du côté de Chhipra, heureusement sur une passerelle...
Vers 10 heures, le bourg de Simikot s'annonce à l'horizon. Les pilotes n'ont presque pas besoin d'amorcer de descente car la piste de 650m de long se situe à une altitude de 2800m. De toutes les manières, je ne vois pas comment ils auraient pu la faire plus longue : le trou d'un côté, le mur de l'autre... Accueil des plus sympathiques des locaux qui n'avaient pas vu se poser d'avion depuis un bout de temps (et pour la petite histoire, cette journée sera mémorable puisque ce ne seront pas moins de 5 avions qui se poseront sur la piste à la suite les uns des autres. Jour de fête !).
Nous retrouvons sur le tarmac le porteur-guide local qui va nous accompagner sur le tour du Saïpal et qui connaît les passages et les possibilités ou non d'hébergement. Vu le retard pris avec l'attente à l'aéroport de Népalgunj, 4 jours, j'aurais bien souhaité démarrer le trek en début d'après-midi pour rejoindre Chhipra (c'est tout en descente...) mais le porteur a dû hier soir retourner au village (il avait oublié son khukri...? - le couteau traditionnel népalais -) et il ne pourra être avec nous que demain matin (son village se trouve à 4 heures de marche népalaise de Simikot...). Donc, on prend possession de nos chambres à l'Humla resort, ce qui laissera le temps à la mini-équipe d'acheter sans se presser la nourriture pour les 3 nuits en pleine nature où il n'y aura pas d'accueil chez l'habitant. Après un lunch frugal, petite visite du bourg commerçant suivie d'une sieste d'acclimatation pour passer l'après-midi. Au réveil, préparation tranquille du sac à dos de journée et écriture alors que le ciel si bleu ce matin, vous savez le fameux "bleu népalais", s'est chargé de nuages et que quelques gouttes de pluie se mettent à tomber. Cela risque d'être notre lot des jours à venir : clair et dégagé le matin, chargé et pluvioteux en milieu d'après-midi...
Dimanche 28 août : Beau temps ! Descente pentue jusqu'à la Humla Karnali nadi, la grosse rivière du coin. En bas, on doit faire un choix : vieux sentier versus piste. Ca coule de source, vieux sentier... où on doit se frayer un passage entre les herbes hautes et les orties urticantes. Après un lunch improvisé dans une bhatti du côté de la passerelle, la 2ème partie de l'après-midi se déroulera sur un sentier relevé quasi pleine pente pour atteindre le village-étape. Pas d'hébergement, alors, montée complémentaire de 150m assez inattendue... C'est le lot de ne pas être en totale autonomie et qu'il faut s'assurer d'un habitant chez qui dîner... Journée qui se traîne en longueur mais repas familial autour du foyer avec papa, maman, didi (grande soeur), daï (grand frère) et nous quatre. Super sympa ! Raksi bio de 1ère qualité à base de millet. Nuit agitée à cause des aboiements du chien de la maison qui garde les poules des attaques des chacals. Il s'est heureusement arrêté vers 2 heures du matin, chacal éloigné ou recru de fatigue...
Lundi 29 août : Petit dej' sur la terrasse au lever du soleil. Au menu, soupe d'orties, galettes de millet, omelette et thé. Après ce repas pantagruellique, montée sans concession jusqu'aux alpages de Lama Chaur situés 1200m au-dessus... Pas une once de dénivelée négative. Si, si, à mi-chemin, pour aller quérir de l'eau en contrebas du chemin ! Nuit sur le plateau humide à proximité des kharkas (bergeries) et dîner de dal bhat chez les nomades. Quelle vie ils ont ! Les yacks et dzokpios (ou dimos, les femelles yacks), très curieux ou agacés, s'en prendront à nos tentes à peine celles-ci montées. Bilan : 3 trous dans le double toit... Ca commence bien !
Mardi 30 août : La journée s'annonçait longue, eh bien, elle le fut ! Interminable... Si la 1ère partie en up / down nous a permis d'arriver tôt au col à 4250m tout en profitant du ballet aérien des vautours-fauves, gypaètes et autres rapaces, la descente vers le "village" étape fut tout autre : longue, cassante dans le couloir pierreux à désescalader puis en forêt jusqu'à la surprise de devoir remonter de 200m tout à la fin pour arriver à l'"hôtel" (c'est comme cela qu'ils appellent les hébergements dans ce coin-là...) de Lampata situé dans une verte vallée qui demain va nous conduire au Saipal BC Est. Aujourd'hui, on aura quasiment accompli 2000m de dénivelée négative et juste moitié moins en positif ! Heureusement que l'accueil de l'hôtelière était de très haut niveau et la nourriture concoctée roborative... Bonne nouvelle : dans l'W du Népal, la mousson semble, je dis bien "semble", être terminée.
Mercredi 31 août : Remontée tranquille d'une superbe vallée fluviale qui débute par un parcours en forêt et se clôt sur d'immenses alpages très habités à l'estive par les nomades. Par contre, le Saipal se fait désirer, occulté qu'il l'est par des nuages accrochés aux parois. Ca se dégage en début de nuit augurant d'un réveil de qualité. Ce soir, à l'"hôtel", j'ai pu constater que nombreux locaux mangent "liquide" : tchang et raksi. Cela délie les langues, certes, mais pour ma leçon quotidienne de népali en immersion, pas facile de décrypter ce qui se raconte ni de pouvoir intervenir dans la conversation, l'esprit plutôt embrumé des quelques locuteurs n'aidant pas à la clarté des propos tenus. Dodo !
Jeudi 1er septembre : Réveil en fanfare à 5h30 (je ne parle pas des mangeurs de "liquide" qui ont discuté toute la nuit à deux pas de la tente, non, non...) car le Saipal a décidé de me gratifier d'un spectacle que les montagnes du monde (et pas seulement les népalaises...) offent au lever du soleil : un arc-en-ciel de couleurs partant du gris, évoluant vers l'orangé puis le rouge et enfin le blanc éclatant. Le Saipal n'est assurément pas la plus belle montagne du monde, ni du Népal d'ailleurs (on est loin de l'Ama Dablam ou du Makalu...), mais comme j'étais venu lui rendre visite je la remercie de m'offrir ce spectacle.
Comme on doit rattraper les quelques jours de balbutiements au démarrage (voir l'épisode 1...), on décide de ne pas rester une journée de plus sur place (on l'avait gardée en réserve pour aller faire une promenade tranquille au pied du glacier...) mais de nous lancer dans la montée vers le Sakya Lagna, ce col panoramique avec 1100m de grimpette qui nous en séparent, et dont le franchissement permet de rebasculer côté bassin versant de la Humla Karnali nadi. Une journée tranquille d'ascension à remonter des alpages au coeur de vallons d'altitude de toute beauté avec, en récompense, au col à 4720m, un panorama vers le N sur les montagnes qui ceignent la vallée de Limi, une vallée reculée tout au NW du Népal, et au 2ème plan la vision gratifiante de la Gurla Mandata, un presque 8000 qui lui se situe entièrement en territoire tibétain.
La soirée à l'étape de Tosa, entre nous, sera beaucoup moins "liquide" et les échanges avec le couple d'hôtes seront très très sympas... et compréhensibles. 1ère nuit aussi au-dessus de 4000m (4300 exactement...) depuis que j'ai posé le pied sur le sol népalais, nuit qui s'est bien passée, preuve que l'acclimatation était plutôt bien menée (même s'il aurait fallu prévoir une étape entre Raya et Lama Chaur, mais là, on était en pleine pampa...). Repas somptueux à base de spaghettis chinois, de sukuti (c'est de la viande séchée que l'on fait bouillir puis griller pour lui rendre saveur et tendreté...) et de dahi (le fromage blanc à base du lait des troupeaux, ici des vaches et des bufflonnes...). Pour la nuit, un tant soit peu trop de jeunes buffles en rut, de clochettes de bufflonnes qui tintinnabulent au gré de leurs déplacements (refus de se soumettre ou recherche d'une herbe plus tendre...) mais c'est le lot des nuits en alpage, non...?
Vendredi 2 septembre : Aujourd'hui, on va se rapprocher de la civilisation en effectuant une grosse étape de descente de près de 2000m après la montée matinale de 500m quasiment pleine pente ! Notre porteur-guide nous annonce une journée exceptionnelle de beauté, aussi belle que... longue. Pas d'hébergement possible sur cette étape : il n'y a pas de village ou de campement de nomades. Une fois le col franchi au pied de la chaîne de montagnes du Chhoti Lek, le plateau d'altitude se traîne en longueur et, arrivé à midi, on n'a à peine descendu que le 1/5ème de ce qui est prévu... La suite est du même accabit avec des petits décrochements de plateau en plateau mais pas vraiment de descente à proprement parler... Soudain, c'est la dégringolade ! 400m d'un coup sur des lacets serrés et pentus dans la forêt de cèdres suivie d'une transversale vers un village paumé dans le coteau.
Au mitan de la descente la proposition du porteur-guide de ne pas se rendre à l'étape prévue nous séduit. Il s'agit d'aller découvrir un audacieux sentier-balcon de sa connaissance qui permet de se rendre jusqu'à un village d'où le lendemain il sera plus aisé de retrouver la piste et la voiture que l'on a commandée pour revenir sur Simikot. Qui s'en plaindrait ? Le sentier-balcon honore ses promesses avec un parcours à la base d'une falaise sur plusieurs centaines de mètres et à belle hauteur au-dessus de la vallée de la Humla Karnali nadi. On atteint le village de Khangalgaon à l'entrée duquel on croise la maîtresse d'école en train de couper des herbes hautes pour alimenter ses animaux d'élevage. Pasang Lhamu Tamang nous invite à faire étape chez elle. Sympa ! C'est une dame haute en couleur et au franc parler qui aura enchanté notre soirée de ses rires et de ses réparties, par moments, inattendues. J'aurai pu aussi goûter à un produit local, le riz rouge, cultivé a priori uniquement dans la région de Humla à des altitudes supérieures à 2500m, un riz spécialement développé par un INRAE, népalais ou autre, pour croître à cette altitude (une seule récolte par an quand même... ailleurs c'est entre 2 et 3 voire 4 dans le Téraï pour le riz blanc qui ne peut pousser qu'au-dessous de 1000m).
Samedi 3 septembre : Après un nuit hyper-calme et reconstituante, petite descente (heureusement, car les genoux ont gardé la mémoire des 2000m d'hier...) pour rejoindre la piste en contrebas (d'ici 2 à 3 ans un embranchement en construction ira jusqu'au village...) et monter à bord du véhicule PRIVATIF que l'on a affrété hier soir par téléphone (eh oui, on est revenu à la civilisation et la 4G est à fond !).
La voiture, une Mahindra Boléro 4x4, arrive avec 30mn de retard mais on va comprendre très vite le pourquoi du comment du retard : on est dans la série documentaire "Les routes de l'impossible" et, encore, il n'a pas plu depuis plus d'une semaine ! Le trait reporté sur les cartes n'est, sur le terrain, qu'une infâme piste chaotique, caillouteuse à souhait. Et c'est pourtant l'axe majeur qui permet à cette région de rejoindre le monde "autre", en l'occurrence la Chine au niveau du village-frontière népalais de Hilsa, en remontant le sillon de la Humla Karnali nadi. 2 heures (seulement...) et des milliers de cahots plus tard, de remplissage des places libres à l'arrière ou sur les pare-chocs par une dizaine de personnes qui avaient toutes une raison VALABLE de monter à bord (entre autres, une jeune fille très affaiblie par un état fiévreux qui nécessitait son déplacement vers l'antenne médicale de Simikot...).
De retour à Simikot, à l'Humla resort and spa (si, si...!), une petite bière pour faire passer l'inconfort de la matinée puis un rapide lunch avant de partir faire les courses au bazar (on est samedi, jour chômé au Népal mais tout est ouvert...) pour la suite du périple que l'on entame dès demain matin en direction du lac Rara, lac que l'on devrait atteindre d'ici 6 à 7 jours. Au bazar, récompense aux personnes qui composaient l'équipe qui m'a rendu "facile" cette exploration partielle du massif du Saipal, le cadeau à chacun d'une paire de chaussures de trek, certes d'origine chinoise, mais de bien meilleure facture que celles qu'ils avaient aux pieds lors du petit périple accompli. Ceci dit, ça n'a pas troué mon budget plus que de raison : 60 euros au total pour les trois paires mais avec des semelles de bonne qualité et accrochant bien sur le terrain. Au fait, vous avez regardé d'où viennent vos Salomon, Quechua, Millet, Merrell et autres chaussures de trek que vous payez au prix fort dans nos magasins en Europe ? Ben, voyons, de Chine, ou pire, d'une usine chinoise implantée au Vietnam car les coûts de production sont encore moins chers que chez eux...
Allez ! C'en est fini avec l'épisode n°2 de ce périple. La suite jusqu'au lac Rara fera, je l'espère, l'objet d'un 3ème opus. A tout de suite !
Simikot (samedi 2 septembre 2023 17h45 locale).
trek Himalaya nepal saipal dolpo Haut-Dolpo
Commentaires
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- 1. Moreau Le 26/08/2023
Contente que le trek puisse enfin commencer ! Hâte de lire le prochain épisode…Take care !
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