La route de tous les possibles...
- Le 05/11/2018
- Dans Voyages
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Le Spiti est une micro région appartenant à la province de l'Himachal Pradesh, province située en gros 400kms au N de la capitale indienne New Delhi. Deux routes desservent le Spiti depuis Chandigarh :
1) la première se dirige vers l'E et remonte les vallées de la Sutlej et de la Spiti river. Nous l'avions suivie en août 2013 à la suite du trek De Rumtse au Spiti au cours duquel nous avions franchi le Parang La et rejoint Kaza. En suivant cette route, nous avions pu visiter des sites religieux bouddhistes (Dankhar, Lalung, Taboo) pour finir par le site hindouiste de Sarahan avant de rejoindre Shimla. Mis à part un "léger" incident du côté de Kalpa (la destruction en live de l'un des ponts franchissant un gros torrent et qui avait été emporté par un éboulement, avec ce qu'il y avait dessus, juste deux camions...), l'axe routier était plutôt de bonne facture et le goudron était présent sur la totalité de l'itinéraire.
2) la deuxième démarre du Lahaul, 50kms au N de Manali, au-delà du Rohtang La alors que l'on rejoint Gramphu, un village posé au fond de la vallée de la Chandra chu où se poursuit vers l'W puis le N la route NH-1 qui remonte jusqu'à Leh et au-delà Kargil et Srinagar. L'embranchement vers le Spiti se situe à mi-hauteur de la rivière dans la descente du Rohtang La et c'est l'occasion de passer de l'ombre à la lumière, comme on dit... L'axe routier suit la Chandra chu sur une cinquantaine de kilomètres avant d’égrener les lacets qui permettent d'accéder au Kunzum La, un col de 4550m qui donne de ce côté-là accès à la région enclavée du Spiti.
Sur les cartes de la région, les routes qui permettent d'accéder au Spiti sont identiquement dessinées et ont tout d'un axe à grande circulation. Sur l'une et l'autre des routes il existe un service de bus quotidien au départ de Chandigarh ou Manali. On s'attend donc, si bien sur la route du S comme sur celle du N, à rouler sur du bitume, certes avec quelques imperfections puisque l'on traverse des torrents ou des couloirs pierreux... Si pour la première il n'y a pas de souci il en va tout autrement pour la seconde : ce que l'on trouve réellement sur le terrain est à classifier dans la catégorie de l'infâme, sans aucune circonstance atténuante... Rouler sur cette "route", non "piste", voire moins que cela... même avec des 4x4 indiens ou japonais relève de l'expérience que l'on n'oubliera jamais. Voici donc un retour d'expérience de ces 2 fois 2h30 de "route" entre Batal et Gramphu au retour du trek de l'Indus à la Chandra, assurément l'étape la plus difficile de ce périple pédestre de 21 jours... J'ai découpé en 2 portions cette liaison ne mesurant "que" 47kms mais chacune d'entre elles présentant des caractéristiques hautes en couleurs (en pensant que l'on avait atteint lors de la première journée entre Batal et Chhatru l'inatteignable, on verra que la deuxième journée dépasse l'entendement...).
1ère partie : Batal - Chhatru (30kms)
Au départ de Batal, tout va bien. Oui, oui... La piste en gravillons est large et suit d'assez loin en RD la large vallée de la Chandra chu. Bien dans la poursuite de la piste d'accès au Chandra tal qui nous a permis en moins d'1h de temps de rejoindre Batal. Enfin, tout va bien, pour les premiers 5kms puisque l'on peut dépasser les 30km/h voire friser les 40 par moment. Soit 10mn... Puis la vallée fait un large coude vers la droite et prend une orientation SW. On découvre alors la multitude de murailles rocheuses et glaciaires que propose cette région du Lahaul. On dirait que Mère Nature a voulu réunir dans un minimum de place le maximum de pics et de glaciers. Ça se chevauche dans tous les sens, c'est vraiment impressionnant ! Le seul endroit où l'on pouvait créer une route est assurément cette vallée fluviale dans laquelle on se trouve... On approche du site de Shingri, une gigantesque confluence de plusieurs vallées glaciaires et c'est là que ça commence : la piste est tracée une vingtaine de mètres au-dessus du lit de galets et épouse tous les contours que proposent les fonds de thalwegs. Elle devient étroite, cabossée, émaillée de nombreuses ornières (boueuses s'il a plu, juste humides quand il n'y a que le torrent qui passe...). Il faut dire qu'il y a quand même pas mal de circulation : 4 bus par jour, 2 dans chaque sens, des camions, des 4x4, locaux à la vallée ou taxis touristiques Toyota Innova ou Mahindra Xylo convoyant des touristes de Manali vers le Spiti, pas trop de voitures particulières (souvent surbaissées genre micro-voitures japonaises ou coréennes, elles ont dû être arrêtées plus tôt, on le verra plus loin dans le récit...).
La vitesse moyenne a chuté, drastiquement, et on peut apprécier, comme si on était à pieds, la beauté des espaces naturels que l'on est en train de traverser. Certes, le "caillou" de toute taille et de toute forme règne en maître ! Cette vallée de la Chandra chu collecte une foultitude de torrents charriant les eaux de fonte de glaciers-fleuves que l'on imagine de taille gigantesque (un coup d’œil à la carte du coin, même imprécise comme la Leomann n°5, permet de repérer la grandeur des glaciers Chhoti Shingri ou Lower Gora Shingri, ici 1cm sur la carte correspond sur le terrain à 2kms..., ça a de quoi effrayer !). Pour revenir à la voiture, les conducteurs se doivent d'être exceptionnels dans le maniement de leur véhicule et savoir choisir la bonne trace pour ne pas risquer de s'embourber ou rester planté sur la bande terreuse centrale qui résulte du passage précédent de plusieurs camions chargés à bloc. Les voitures sont quand même incroyables de solidité, que ce soient les Tata, Mahindra ou Toyota (oublions de suite la comparaison avec nos SUV européens de bobos qui au moindre "pet" dans un trottoir doivent être confiés au garagiste pour réparation...), les camions et les autocars également, Tata, Mahindra, Sutlej ou autres Ashok Leyland... pour s'engager sur des axes routiers aussi dégradés. A partir de Shingri, la vallée reste assez large mais les parois se sont redressées et, à voir la grandeur des étendues de cailloux que l'on traverse, on ne peut s'empêcher de penser qu'à la fonte des neiges ça doit "parpiner" dans le coin, et pas qu'un peu... Ce sont des centaines de mètres de champs de rochers effondrés que l'on traverse au pied de parois verticales desquelles l'eau des cascades dégouline. Le pays est soudainement devenu très verdoyant... On approche de Chhatru et on est accueilli dans le village par une portion de piste plutôt bien viabilisée. Ça faisait longtemps que cela ne nous était pas arrivé, pas loin de 2 heures, non ? Dans les échoppes du village de bord de route, les tenanciers à qui l'on pose la question : "Et la suite jusqu'à Gramphu, elle est comment ?" nous rassurent sur la qualité attendue : "Juste chaotique au début et les deux derniers kilomètres un peu boueux, mais rassurez-vous il n'a pas plu (beaucoup...)". On est enfin rassuré sur la suite de l'itinéraire. On est sorti de l'enfer. Plus que 17kms et voyons, au moins 13kms sur 17 de "nickel"...
2ème partie : Chhatru - Gramphu (17kms)
A la sortie immédiate de Chhatru, on dispose de deux ponts, l'ancien et le nouveau. Sur la RG de la Chandra chu les deux routes se retrouvent bien vite au niveau d'une "piscine" d'une centaine de mètres de long et de 50cms de profondeur. Ca commence plutôt bien, non ? Enfin, juste un truc que les tenanciers du village avaient omis d'aborder... On en sort plutôt contents parce que rester planté dans une mare comme celle-là... La piste se poursuit en lacets ascendants (tiens ! je croyais que l'on descendait une vallée, mais bon...) pour venir se positionner à une centaine de mètres au-dessus de la rivière. Et là, commence la litanie du passage au fond de tous les thalwegs qui descendent des parois verticales proposées par les montagnes composant la dorsale qui prolonge la crête du Rohtang La vers l'E. Et elles sont impressionnantes ces parois ! On peut comprendre que la route ne résiste pas aux éboulements qui s'y produisent... Et c'est tout à fait le cas : la piste est étroite, défoncée, inondée par l'eau à chaque traversée d'un torrent, défoncée par le passage des camions ou des autocars mais, comme le disaient les tenanciers de Chhatru, "il n'avait pas beaucoup plu"... Heureusement ! Ce régime bosselé entrecoupé d'immersions furtives va se perpétrer pendant pas mal de temps, en gros sur une grosse douzaine de kilomètres, une bonne heure et demie quand même... Un énorme soulagement se produit dans le véhicule au moment où l'on découvre juste devant, à deux pas quoi..., le tracé des lacets de la NH-1 qui s'attaquent aux pentes N du Rohtang La. On y distingue même les camions qui ahanent dans la montée. C'est dire qu'on approche !
Sauvés ? La "blague" ne fait pas rire le conducteur qui connaît bien la suite du chemin pour l'avoir parcourue la veille lorsqu'il est venu de Manali pour nous quérir au lac de Chandra tal. Patientons donc pour voir à quelle sauce nous allons être mangés ! Mais si, si, on y est presque... Il ne reste que 2kms, voyons ! Eh bien, ils commencent par un premier embourbement au passage d'un thalweg archi boueux où tous les passagers sont invités à descendre et aussi à poursuivre la route à pied en coupant les lacets ascendants jusqu'à atteindre le point de connexion avec la route de Manali. Une dizaine de lacets termine la route du Spiti et dans chaque virage c'est du travail d'orfèvre de la part du conducteur pour ne pas rester bloqué à patiner dans la boue bien grasse ou pire être déporté vers le vide... Un bouchon commence à se former (pas terrible pour repartir en côte lorsque les 4 roues, même celles d'un 4x4, sont dans la boue...). Devant, un camion de transport de matériaux patine tout ce qu'il sait et massacre la totalité des rails à peu près secs qui s'étaient formés tout au long de la matinée et adaptés à chaque type de véhicule, voiture ou camion. Une anecdote au passage : il n'y avait juste "rien de prévu" pour un raid de tuk-tuks qui passaient par là et pour lesquels la très faible hauteur sous caisse empêchait de surmonter ce qui pouvait être pour eux considéré comme des montagnes de terre...
L'embrayage du camion Tata fume comme un "pompier" et ça commence à vraiment sentir le mauvais brûlé. On encourage le conducteur, faute de pouvoir l'aider davantage car la pente derrière chaque lacet est relevée. Enfin, à force de persévérance, le camion se présente dans la dernière côte avant de retrouver le goudron et là, impossible de pouvoir sortir de la route du Spiti. Boue bien grasse et terre poussiéreuse ne peuvent plus assurer une bonne adhérence et, le pauvre, ce ne sera qu'après une vingtaine d'essais infructueux pour franchir cet écueil que le succès sera au rendez-vous (heureusement pour nous...). Par contre, l'épaisseur du disque d'embrayage suite à cette épreuve doit s'apparenter à celle d'une feuille de papier à cigarettes... Voilà ! 17kms en 2h30. Les villageois de Chhatru n'avaient pas tort : on y est arrivé, c'est ce qui compte mais à force d'être "habitué" à vivre là dedans, on en oublie la normalité.
C'était un des aspects de l'inénarrable feuilleton "Incredible India"...
Et pour illustrer de visu les propos précédents, faites donc défiler le Diaporama
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