Retour du Ladakh (été 2014)
- Le 13/08/2014
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Qu'il est difficile de construire un itinéraire de trekking hors des sentiers battus au Ladakh ! Et surtout, une fois sur place, de le réaliser sur le terrain... Dit comme cela, ça peut faire peur : si on se contente de rester sur les itinéraires conventionnels (c'est d'ailleurs ce que font toutes les agences, hein ?), il y a peu de risques à être bloqué avec sa caravane de mules au pied d'un col enneigé ou à l'entrée du gorge dans laquelle une rivière rugit et charriant des tonnes de cailloux... Mais quand on veut sortir de la vallée de la Markha, du baby trek de Likir à Khalatse, du Stok kangri (pour ceux qui durent moins d'une semaine) ou de la Grande Traversée du Zangskar (l'historique en 20 jours de marche dont aujourd'hui 14 sur piste...), on pénètre dans des espaces quasiment vierges de touristes mais aussi d'autochtones, en rapport avec la nouvelle donne, celle de la désertification des villages de l'intérieur du massif.
Alors, quand je propose un ambitieux itinéréraire de 44 jours de marche entre Honupatta (au centre du Ladakh) et Sarchu (au SE du Zangskar) sensé :
- franchir de nombreux cols tous au-dessus des 5000m : Nigutse La, Yogma La, Timti La, Yoma La, Sapi La, Rasi La, Chardo La, Wakha La, Pudzong La, Marpo La, Kyerse La, Barmi La, Ralakhung La, Umasi La, Muni La, sTongde La et pour finir Surichun La,
- suivre des vallées fluviales à débit variable et imprévisible : Kanji La Togpo, Oma Chu, Shingri Chu, Niri Chu et Tsarap Chu,
- ne pas pouvoir aisément disposer de points ravitaillement d'où la raison de s'adjoindre une caravane de mules,
- de devoir respecter un jour par jour précis pour honorer des rendez-vous car il est quasiment impossible de pouvoir téléphoner (il n'y a que très peu de téléphone satellite fixes dans les villages et le téléphone satellite portatif est interdit d'utilisation au Ladakh même pour appeler les secours !), etc.
et que les aléas de la météo s'y invitent, la problématique devient insoluble. Il faut recomposer en permanence l'itinéraire, être à l'écoute des moindres rumeurs (tant soit peu que l'on rencontre du monde...) quant à l'état d'une portion de route ou d'une autre, si les rivières ont grossi ou non, si le bout de sentier que l'on a prévu de suivre existe encore...
Eh bien, c'est ce qui s'est passé courant juin en y greffant une succession de problèmes complémentaires que l'on avait absolument pas envisagé qu'il puissent se produire :
- Le muletier Donitchen avec lequel j'avais réalisé le Grand Tour du Ladakh à l'été 2013 (un homme de confiance) est resté bloqué du côté des grands lacs à l'E du massif alors qu'on attendait sa venue à Honupatta ; pourquoi donc ce retard bien peu coutumier de sa part ? Eh bien, alors qu'il faisait route depuis Manali sur la NH-1, pas encore opérationnelle fin mai et recouverte d'une épaisse couche de neige et de givre (il a quitté sa maison le 27 mai avec ses mules à vide), au passage du Paralatse La, une de ses 7 mules s'est fracturée une jambe et que la mort dans l'âme (je vous passe les détails...). Ca, on ne l'apprendra que 15 jours plus tard...
Ebranlé par cette épreuve, Donitchen poursuit tout de même sa route pour nous rejoindre et descend jusqu'à Pang. Il continue vers Rumtse bien décidé à franchir le plus rapidement possible les 3 cols de l'E : le Nakee La, le Lachulung La et le plus haut d'entre eux le Tanglang La, quand, lors d'un bivouac sur le plateau du Tso Kar, une des mules s'échappe la nuit, attirée qu'elle a été par un groupe d'ânes sauvages, les fameux kiangs. Là, c'en est trop pour un seul homme. Donitchen littéralement "pète un câble", rejoint Rumtse en 2 jours, confie ses 5 mules restantes à un habitant, achète quelques vivres et repart seul à la recherche de sa mule manquante. Ni Sonam le directeur de l'agence A.T.M de Leh qui l'a engagé, ni le responsable de la centrale de réservation de Manali ne recevront de coup de téléphone (le choc...). Pendant plus de 10 jours (il n'y a pas de téléphone satellite fixe dans toute la région), les deux hommes craindront que le pire soit arrivé, se déplaceront même deux fois sur place (la route vient enfin d'être ouverte au trafic ce 15 juin) pour partir sur le terrain à sa recherche... Mais, une fois sur place, où donc chercher ? Les plateaux sont immensément larges, les nomades ne sont pas encore arrivés et toutes les directions de la rose des vents sont envisageables.
- Pendant ce temps, Sonam essaie de nous trouver une caravane de mules de remplacement sur Leh mais c'est là qu'intervient le deuxième "problème" : le Dalaï Lama a décidé cette année de dispenser son enseignement (la 34e édition de Kalachakra) à Leh... La quasi totalité des habitants du Ladakh et du Zangskar vont converger à pied, à cheval, en bus, en voiture depuis leurs villages jusqu'à Leh pour ne pas rater cet évènement. Et nombreux seront ceux qui habitent Leh et sa banlieue proche qui ne voudront pas risquer de manquer ce rendez-vous du 3 au 14 juillet, quitte à refuser un travail rémunérateur 3 semaines à l'avance. Impossible donc de trouver un muletier bouddhiste sur Leh...! Dire qu'avec Donitchen qui est hindouiste on avait une solution de confort... Enfin, Sonam après moult recherches nous en trouve un : ce brave homme demande simplement d'être de retour à Leh pour le début de Kalachakra. On est le 13 juin, on peut commencer le trek à Kanji presque à l'heure, les mules arriveront par camion "express" à Phu deux jours plus tard, et cela laisse du temps à Donitchen pour nous rejoindre où qu'il soit, quoi qu'il fasse, et bien entendu s'il ne lui est pas arrivé malheur... En attendant le "camion à mules", l'intendance se fera par convoyage automobile. Au fait, le 13 juin, nuit de pleine lune, c'est Purnima à Alchi, la plus grande fête de l'année, fête que nous partagerons sur place avec les pèlerins. Et comme il reste un peu de temps, on va faire un tour aux grottes peintes de Saspol avant de revenir dormir au lodge de Lamayuru. Tout a l'air de bien vouloir se remettre en ordre...
Les 10 jours qui suivent sont consacrés à la découverte de l'W du Ladakh (ou l'on découvre que la conformation du terrain a permis la construction de plusieurs pistes et routes...) en effectuant la traversée de Kanji au Rasi La duquel nous constaterons de visu (on est à près de 5000m) que la vallée d'accès au Wakha La est recouverte d'une neige compacte de bas en haut, 5220m tout de même... Les mules ne passeront jamais ! On nous explique que les régions W et SW du massif ont subi de fortes chutes de neige tardives au mois de mars ("c'est inhabituel" nous dit-on...). On abandonne évidemment l'idée d'une traversée du Wakha La mais comme le chemin que l'on a suivi jusqu'à présent est suffisamment intéressant, j'ai tenu à rédiger le topo De Kanji à Bartu : il y a quand même de la matière ! Certes on n'est jamais très loin de la route NH-1 ou d'une piste mais le franchissement du Timti La au tout début et du Rasi La le dernier jour contenteront les amateurs d'espaces vierges et de panoramas étendus.
Quant aux aficionados des sites culturels, ils seront gâtés avec la visite de la gompa de Gyal, celle du site historique de Pokhar Ogyan Rzong et, à la sortie de la vallée de la Phulangpa Togpo, le passage à Kartse pour admirer l'un des trois Bouddhas du futur taillés dans la falaise. De Bartu, nous rallions Rangdum en voiture (Sonam avait prévu de nous ravitailler, ça tombait plutôt bien...), Rangdum où nous patienterons une journée entière, le temps nécessaire pour les mules de nous rejoindre après un parcours en sabots de près de 100kms effectués en 2 jours et demi, belle performance !
Rangdum : Une fois la désillusion passée (il n'y a vraiment pas grand chose : un lodge, un téléphone satellite à la gompa, une ou deux boutiques), je suis quand même assez confiant pour la suite du parcours car l'itinéraire envisagé reprend une partie de ce que j'avais réalisé à l'été 2013 entre le camp dans la Kanji La Togpo et Dibling en franchissant le Pudzong La (jours 10 et 11). Mesurant tout de même 5020m mais d'un accès aisé et surtout, à 15 jours près l'année dernière, j'avais franchi sans aucune difficulté technique le Pudzong La entièrement sec. Ca laisse de l'espoir... Eh bien, le signe indien va nous poursuivre également dans cette vallée : nous atteignons la base du col après avoir surmonté moult difficultés dans la gorge, difficultés dues à la présence de neige tassée au pied de quelques couloirs d'avalanche empêchant le passage des mules et les obligeant à faire des détours un peu scabreux. Manque de chance, après une exploration à pied du passage du col entièrement recouvert de neige, on s'aperçoit bien qu'il sera impossible de faire passer les mules là où demeure, sur le plateau morainique qui marque le passage du Pudzong La, une plaque de neige poudreuse de 800m de longueur et d'une épaisseur proche d'un mètre.
Après le gel nocturne les piétons pourront passer, les mules qui sont 7 à 8 fois plus lourdes, qui plus est avec leurs charges, risquent de rester bloquées : plus un pas en avant, plus un pas en arrière... Après une nuit sur la moraine austère qui fait face au col, force est de nous résigner à rebrousser chemin pour revenir à Rangdum. Ce seront 4 jours de perdus, mais surtout il n'est plus question d'effectuer la liaison envisagée vers Phe en suivant l'Oma Chu jusqu'à Dibling puis, en empruntant le Marpo La, le Kyerse La et le Barmi La, retrouver l'Oma Chu pour une journée de marche que l'on envisageait déjà légèrement humide à cause des multiples traversées de rivière avant de s'attaquer au Ralakhung La.
Pour mettre un peu de "baume au coeur" dans notre "malheur", nous retrouvons la plaine de Rangdum 3 jours et demi après l'avoir quittée au moment précis où Sonam revient de Padum, les sièges de la voiture occupés par des membres de sa famille qu'il achemine vers Leh (et Kalachakra...). Débrouillard comme pas deux, il nous dégote un transport automobile (un copain qui habite le village de Rangdum et qui nous emmènera à Ating dès le lendemain matin). Mais là, sans les mules, puisque nous sommes fin juin et qu'il est temps pour notre muletier de remplacement de rejoindre la capitale du Ladakh (il trouvera rapidement un camion remontant à vide sur Leh dans lequel il prendra place avec ses mules et pourra assister comme demandé aux séances d'enseignement du Dalaï Lama...). Et dire que je n'avais jamais "fait" la route de Kargil à Padum ! Eh bien, ça y est, et je peux attester que les paysages traversés sont en tout point splendides mais qu'on sort de la voiture au bout de la journée le cul tanné par les milliers de cahots. On obtient également plusieurs bonnes nouvelles : on a retrouvé Donitchen qui a réussi à faire revenir la mule qui avait pris la poudre d'escampette. Un camion de passage a conduit tout ce beau monde à Leh où Sonam a fait reprendre à Donitchen goût à la vie en l'accueillant deux jours dans sa maison de Choglamsar. Et depuis quelques jours, Donitchen est en route pour Dibling. Malheureusement cette fois-ci, c'est nous qui ne serons pas au rendez-vous, à cause du Pudzong La... Comme il y a un téléphone satellite fixe au village, Sonam va pouvoir lui indiquer de se diriger vers Padum (il faut 4 jours de marche) et nous nous retrouverons (quand même...) pour la dernière partie du trek de Padum à Sarchu.
En attendant, nous sommes accueillis dans la famille de Tundup dont la maison se trouve à Drokhang à côté de Ating, un village situé à une vingtaine de kilomètres avant Padum. On se prépare à se lancer sur le petit circuit alpin sur glacier qui, de Ating à Sani en 7 jours, doit nous permettre de découvrir l'univers glaciaire qui s'inscrit entre les cols de l'Umasi La et des Muni La. Pour cette "escapade" pas besoin de mules mais Sonam a recruté pour l'occasion une dizaine de porteurs zanskarpa conduits par un "papy" de 62 ans, l'oeil vif et le jarret musclé. Il connait les passages qui vont nous permettre de franchir par deux fois la barrière de l'Himalaya dans une ambiance que l'on imagine très haute montagne... Et c'est parti ! On utilise une voiture pour rejoindre la gompa de Dzongkhul avant de remonter la vallée de la Malung Togpo jusqu'au camp de base de l'Umasi La que l'on devine très alpin au milieu des parois rocheuses qui ceignent les bassins d'alimentation de plusieurs glaciers-fleuves. J'ai dit "que l'on devine"... car cette fois-ci ce n'est pas l'enneigement qui pose problème mais une météo franchement pourrie qui nous accueille notre caravane à 5000m. Comment dans ces conditions-là, une averse de grêle toutes les 10mn, envisager de s'engager en haute montagne ? Qui plus est avec une dizaine de porteurs équipés relativement sommairement... Prudence est mère de sûreté et selon l'adage "un bon guide est un guide vivant"..., nous décidons d'attendre une journée de plus au camp de base (pas mieux !) avant de, là aussi, rebrousser chemin et repousser à des années futures cette excursion... C'est, bien au chaud engoncé dans le duvet, que je décide de créer une nouvelle rubrique sur le site : celle des Explorations en cours dans laquelle le premier topo à y entrer sera celui de l'Umasi La...
Maintenant on le sait : il aurait fallu attendre une journée de plus. Car à partir du moment où nous avons commencé à nous replier le beau temps est arrivé, aussi subitement qu'il s'était dégradé... Mais comment opérer des choix de route alors que l'on ne peut disposer d'aucun moyen de communication qui permette, comme au Népal avec le téléphone satellite, de contacter des amis pouvant donner des tendances météo ? C'est assurément LE plus gros problème du trekking au coeur de l'Himalaya indien : il n'y a aucune possibilité de gérer sa sécurité dans ces endroits hostiles a priori et a posteriori !
On est au début juillet et le temps semble se stabiliser au beau, même au très beau. On migre d'Ating vers Padum, un village fantôme puisque abandonné de tout bouddhiste qui se respecte (ou presque...), migration vers Leh pour Kalachakra oblige, et on attend que Marie nous rejoigne sur place pour se lancer sur le trek vers Sarchu. A Padum on retrouve (tout de même...) Donitchen que l'envie de partir en montagne explorer de nouveaux sentiers en ma compagnie démange. J'essaie bien de recomposer un itinéraire partant d'Ating et rejoignant l'Oma Chu via le Ralakhung La mais Sonam au téléphone balaie d'une phrase mes velléités de passer par là : "l'Oma Chu est déchaînée, impossible de faire l'étape de la confluence Ralakhung Togpo - Oma Chu à Lingshed Sumdo" et rajoute-t-il "les quelques groupes engagés dans le passage ont tous rebroussé chemin"... Et de l'autre côté, vers Zingchen et le Parpi La ? "Le sentier tracé dans la gorge vient d'être explosé par des chutes de rochers, on peut le rayer de la carte...". Donc, on attend : limite ambiance de la série TV Le Prisonnier avec Patrick McGoohan ! On prend notre mal en patience en allant rendre une petite visite au palais de Sani et à la gompa de Bardan, mais quelle galère pour trouver la personne qui détient les clefs : les bâtiments sont vides, re-Kalachakra...
Le 8 juillet dans l'après-midi Marie arrive à Padum et nous envisageons de démarrer notre trek de sTongde à Sarchu dès le lendemain, mais en douceur car, si nous sommes acclimatés en étant sur place depuis 1 mois, Marie, elle, vient tout juste de débarquer... Le 9 au matin, on rejoint la gompa de sTongde en voiture et pendant que l'on visite le monastère perché sur son piton (là aussi, c'est tranquille !), Donitchen nous rejoint avec ses mules. Enfin vers midi c'est le départ, petite étape histoire de ne pas trop monter en altitude pour le premier jour... Le lendemain, Marie pourra quand même franchir le sTongde La, belle performance à 5140m sans acclimatation, et nous nous poserons juste de l'autre côté du col eu égard à son état de fatigue bien compréhensible.
Puis c'est la descente de la haute vallée de la Shingri Chu jusqu'à venir buter à l'entrée du canyon sur la nécessité de traverser la rivière déchaînée : les mules ont du mal à résister au courant, les plus frêles d'entre nous ne peuvent pas lutter et arrivent quand même à passer sur l'autre rive mais au prix d'énormes efforts,... Une fois de l'autre côté, on constate que la traversée suivante devra s'effectuer dans des conditions encore pires que lors de la précédente, nous décidons de ne pas aller plus avant. Mais, rebrousser chemin implique qu'il faut bien évidemment retraverser la rivière pour reprendre pied sur la rive par laquelle nous sommes arrivés. Et là, à peine 1h plus tard, ce n'est plus la même "chanson" : insidieusement le courant a forci et le premier essai de passage des mules se solde par un échec. Force est de devoir les débâter pour qu'elles puissent un peu plus aisément franchir la rivière. Et les 500 kg de bagages, qu'en fait-on ? Avec la corde de 80m que nous avons eu l'intelligence de garder avec nous, nous montons une tyrolienne et, charge après charge, nous transférons tout de l'autre côté (plus de deux heures de manoeuvres éreintantes quand même...). Voir le diaporama des manoeuvres en fin de billet.
On établit le camp un peu plus en amont au confluent de la Shingri Chu et de la Leschun Togpo et on commence à étudier les solutions proposées par la carte Olizane. Officiellement, il n'y a rien de dessiné comme "sentier" autre que celui qui descend les gorges de la Shingri Chu et de la Niri Chu. Mais la qualité du fond de plan autorise à pouvoir rechercher des pistes de substitution à l'obligation de retourner jusqu'à Padum (une fois de plus...). Nous identifions deux possibilités d'exploration avec des pentes qui semblent compatibles avec ce que peuvent endurer des mules (bien sûr, rien ne peut présager de l'accessibilité des cols présumés, mais bon on peut essayer...) :
- la première est la vallée de la Ronchil Togpo dont le confluent avec la Shingri Chu se situe à Salang Stagda. Tout au sud, au pied du Garungo, elle semble proposer deux possibilités de franchissement de l'arête pour rejoindre Ychar ou Dordzong dans la vallée de la Lung Nag Chu.
- la seconde est la vallée de la Leschun Togpo qui semble assez large et surtout en RG présentant des pentes détritiques ou d'alpages (nul ne peut savoir avant d'y être allé, Google earth n'est pas disponible sur place...) peu pentues. En remontant cette vallée (il y a même un sentier de bergers au départ) on atteindra un grand bassin d'alimentation qui draine les eaux de fonte en provenance du sommet glaciaire du coin : le Cha.
C'est la seconde option qui retiendra notre attention (peut-être aussi à cause du chemin de bergers que l'on a repéré...) et qui nous permettra en deux jours d'atteindre un incroyable alpage d'altitude dont les pentes détritiques qui l'entourent sont colonisées par des dizaines de mouflons, mouflonnes et éterlous de Marco-Polo. Un repérage des alentours permettra à Tundup et Donitchen de découvrir un large col donnant accès à la verdoyante vallée de la Phuktal Chu. Ils feront même l'aller-retour jusqu'à un canal d'irrigation écroulé en RD de la vallée afin de savoir, bien qu'il y ait beaucoup de bergeries le long de la rivière, s'il existait bien, au-delà du col, un sentier muletier. Ils seront les premiers à pouvoir contempler depuis un collet la vallée de la Tsarap Chu et le village de Yugar situé en face de la gompa de Phuktal. De retour au camp alors que la nuit était tombée depuis un bout de temps, il ne leur restait plus le lendemain qu'à nous guider sur leurs traces de la veille.
C'est ce que nous ferons avec un plaisir non dissimulé et le sentiment, après avoir subi des nombreux revers sur cette campagne d'été 2014, d'avoir accompli un "truc" de grand... Et pas seulement nous, les touristes : quand on voit la mine réjouie de nos "baroudeurs" zangskarpa, on a peine à croire que ça les a laissés insensibles... En tous les cas, c'est une belle variante panoramique au parcours du bas le long de la Lung Nag Chu. Moins de bière dans les boutiques, certes, mais à la place un grand bol d'air frais !
La suite de l'itinéraire passe par la gompa de Phuktal (y arriver par le haut, ça change tout !), Kalachakra oblige il ne reste sur place qu'un moine et un gardien dans le monastère... Par contre, le chemin de descente le long de la Tsarap Chu est en travaux : le chemin est en train d'être remplacé par une piste financée par le monastère et réalisée par des népalais... Vous en penserez ce que vous voulez ! On rejoint Purne puis Testa puis Kargyak (c'est l'itinéraire de la GTZ "canal historique") et on laisse les touristes franchir le Shingo La pour nous engager dans une gorge étroite en direction du Surichun La, dernier écueil d'importance sur la route de Sarchu. On suivra le nouveau chemin tracé dans les alpages pour rejoindre Wathang, le camp de base du col, mais là encore il faudra croiser les indications erronnées du tracé de la carte Olizane avec celles présentes sur le terrain : heureusement qu'on dispose parfois de cairns pour se guider sur le terrain parce que si on devait faire confiance à ce qui est dessiné sur les cartes, même celles qui semblent les plus fiables parce que disposant d'un fond de plan de qualité, on serait mort depuis bien longtemps ! Une erreur d'1cm sur la carte, c'est 1500m sur le terrain au 1/150.000e soit une vallée de différence, et ça peut tout changer... Dans le brouillard par exemple ? Un peu de sérieux, Messieurs les concepteurs !
La descente sur Sarchu ne posera pas de problème si ce n'est la longueur des plateaux morainiques, interminables, le long de la Lingti Chu. La traversée de Padum à Sarchu est accomplie avec une réussite au-delà de nos espérances alors que cela aurait pu tourner au 3ème rebroussement de chemin. Le topo est en ligne et a rejoint les autres randonnées au sein de la rubrique Treks en Asie : De Padum à Sarchu.
On arrive donc 6 jours en avance à la route puisqu'on a squizzé le détour prévu depuis Testa par les vallées de la Lenak et de la Gyambal du fait que les habitants de Testa nous ont déconseillé de faire ce détour par cet itinéraire depuis longtemps abandonné par les bergers du village. Ils craignent que les mules qui nous accompagnent ne puissent pas disposer de conditions optimales pour pratiquer cette traversée. Et puis, la météo s'est remise au moche et nous pouvons aussi craindre des chutes de pierres. Comme nous l'avions envisagé depuis notre étape à Testa (en ayant joint Sonam par le seul téléphone satellite fixe de la vallée), nous décidons de tenter d'effectuer la liaison de Sarchu au lac Tsomoriri, histoire de finir en beauté dans un site exceptionnel. Le sentier tracé sur la carte Olizane édition 2008 partant du pont sur la Tsarap Chu 8 kms au N de Sarchu semblait remonter une vallée fluviale « assez » large. Et, alors que nous allions nous mettre en route, nous avons le bonheur de rencontrer un berger de l’Himachal Pradesh qui nous rassure sur le fait qu’il y a bien un chemin, parfois un peu délité, mais que pour atteindre les grandes étendues de galets sur laquelle la Tsarap Chu se constitue, nous aurions à débâter deux fois pour franchir des béquets rocheux, parfois tracé en hauteur sur des moraines détritiques et souvent à même le lit de la rivière. Et dernière précisions : selon le moment de la journée, nous pourrions avoir à traverser de nombreuses fois la rivière, peut-être même avec quelques difficultés du fait du fort courant... Quant à la liaison vers le lac Tsomoriri passant par le Langpo La, il n’avait pas d’informations puisqu’il était toujours resté avec des troupeaux au niveau des alpages qui bordent la Tsarap Chu et qu’il n’avait jamais eu l’occasion d’emprunter ce chemin. Nous avions repéré sur la carte que si nous franchissions le col, côté E, nous aurions à traverser un plateau d’altitude très vaste pour atteindre la vallée de la Phirtse Chu à Manechan où nous retrouverions l’itinéraire muletier arrivant de Pang (emprunté par quelques groupes de randonneurs). Après, on serait en « terrain connu » puisque rejoignant Kyangdam en une journée de marche puis le lendemain, en suivant la rive W du Tsomoriri, on débarquerait vers midi à Korzok. Nous voici donc en route, hommes et mules, le long de la Tsarap Chu, remontant vers ses sources situées en face N des montagnes du Spiti.
Le "chemin" existe, on ne peut pas le nier, mais on sent qu'il n'est pas très emprunté. Au tout début il y a pas mal de crottes d'ovins et de caprins mais au bout d'1h de route il n'y a plus que des "traces" d'une ou deux mules qui ont dû passer par là il y a un bout de temps. On trouve quelques cairns deci de là et, histoire de participer à la pérennisation d'un futur itinéraire de randonnée (puisqu'à la suite de cet article vous ne manquerez pas d'y aller faire un tour, hein...? surtout après tout ce que je vais vous raconter par la suite), chacun d'entre nous participe au renforcement d'un bout de sentier (il faut bien que les mules passent en sécurité) ou du balisage (indiquer les bons passages à emprunter donne plus de chances qu'il reste un chemin). Toute la première partie de l'itinéraire se situe entre la traversée de plateaux morainiques à mi-hauteur de la rivière (quand même quelques passages délités dans les thalwegs sableux) ou alors directement en bordure sur des galets.
On avance vers l'inconnu (même si le berger rencontré au début nous a assuré de la "viabilité" de l'itinéraire). Le premier bivouac se situe sur une plage de galets un peu en retrait de la rivière (au cas où...) disposant juste au-dessus d'une prairie (les mules disent merci !) et où je découvre une petite source d'eau fraîche sortant d'un couloir d'éboulis. La matinée du deuxième jour est la copie conforme de l'après-midi de la veille jusqu'au franchissement d'un col marqué de nombreux cairns et dont le balisage minéral de la descente est pléthorique. Mais pourquoi donc une telle "débauche" de moyens alors que jusqu'à présent le balisage était plutôt confidentiel ? C'est que ce passage marque une transition sans pareille : avant, ce n'étaient que moraines délitées et parois peu amènes ; de ce belvédère, on découvre que la suite de l'itinéraire empruntera une large vallée fluviale sur laquelle la progression pourra être beaucoup moins chaotique, exception faite de nécessaires traversées de bras de rivière... La large vallée fluviale que nous allons remonter à présent directement sur le lit de galets nous permet d'avancer réellement plus vite. Il y a certes des traversées de bras de rivières (le régime sandales est préconisé...) et plus le soleil tape plus on se dit qu'à un moment on ne va plus pouvoir traverser à cause d'un courant trop fort. C'est ce qui se produit au moment d'une Nième trempette où la corde qui avait servi dans la Shingri Chu fait sa réapparition pour sécuriser le franchissement de la Malung Chu, l'un des deux bras qui avec l'Umnag Chu forment la Tsarap. Il est temps de se poser (pas trop de choix du lieu de bivouac, une source certes mais diète pour les mules...), mine de rien c'est quand même un tantinet éreintant. Et heureusement que Donitchen est un décrypteur "es méandre de rivière", il n'a pas son pareil pour "sentir" les ondulations des bras d'eau, prévoir qu'il vont ou non frôler une rive et surtout savoir où traverser le plus en sécurité. Une sacrée expérience mise au service de tout le groupe et qui nous permet d'éviter des retours en arrière chronophages...
La matinée du troisième jour est la plus humide du parcours car bien que la vallée soit très large elle est plate et de ce fait, selon la puissance du courant, les bras se forment en rapport avec la hauteur d'eau et à l'instar du système de tentacules d'une pieuvre, la rivière se divise en plusieurs bras qui viennent lécher les pentes détritiques de gauche et de droite, à l'envi (le sien surtout...). On surmonte une petite moraine et au-delà on découvre une nouvelle plaine alluviale qui s'en va buter au pied des montagnes glaciaires. Comme indiqué sur la carte Olizane, c'est le moment de quitter la vallée principale de la Malung Chu pour filer en biais traverser des plateaux recouverts de buissons épineux ras. Trop heureux d'avoir trouvé la conformation du terrain identique à celle dessinée sur la carte, j'en perds mes repères de distance et nous nous égarons de l'itinéraire théorique (on ne s'attendait quand même pas à trouver un superbe chemin sur place...) pour aller malgré nous explorer les éboulis sous les falaises pensant que le couloir dans lequel on devait entrer se présentait déjà. Au bout d'une heure à chercher sur le terrain d'hypothétiques traces, je déplie la carte, reprends les coordonnées GPS et m'aperçois de la grosse erreur d'appréciation. En fin de compte, la traversée du plateau morainique ne fait pas moins de 8 à 9kms pour atteindre l'entrée du canyon d'où sort le torrent du Langpo La ; ce n'était pas en 30mn que nous aurions pu effectuer cette distance ! Allez, on redescend rejoindre la caravane de mules bien sagement restée en bas dans l'attente de notre invitation à monter si des fois on avait trouvé un chemin... On finit par trouver l'entrée du canyon qui en le remontant doit nous conduire au pied du col. 3ème bivouac et cette fois-ci herbe à profusion pour les mules... Le lendemain matin nous sommes à pied d'oeuvre dans l'étroit canyon de la Langpo La Chu mais les mules restent bloquées dans l'étroit conduit et doivent redescendre tout ce qu'elles ont monté pour contourner par le haut de la moraine le passage. On perd ainsi deux bonnes heures de marche à les attendre. C'est le lot commun des explorations... On retrouve les mules alors que la vallée s'élargit juste avant de s'engager dans un étroit passage entre deux falaises, passage qu'il faut préalablement paver pour en faciliter la pénétration pour les mules. Et ne voilà-t-il pas que Mutup, notre émérite cuisinier, parti décrypter l'itinéraire un peu plus avant dans la gorge, revient chargé d'outils de terrassement qui nous seront d'une aide inestimable dans notre travail de construction. Incroyable, non ?
On peut désormais continuer notre progression tout heureux de découvrir qu'après 200m de canyon on peut poser le pied au sec sur un chemin parfaitement viabilisé et cairné. On remonte les pentes détritiques par de larges lacets quand tout à coup... plus de cairn ! Je déplie la carte pour constater que l'itinéraire d'accès au col doit remonter par un couloir en RG très délité et dans lequel les mules auront du mal à grimper. Par acquis de conscience je vais exporer le canyon d'où sort la rivière que l'on suit pendant que les "baroudeurs" zanskarpa essaient de trouver un chemin dans le couloir. "Chou blanc" de mon côté où après un goulet que l'on traverse à mi-cuisse la rivière dont je tente de remonter le courant ne propose que des traversées successives de chaos de rochers effondrés dans lesquels il sera pour les mules absolument impossible de progresser. Côté couloir, "chou gris"... Après avoir surmonté les premières pentes, Tundup et Donitchen ont bien identifié une trace horizontale qui partait du milieu du couloir sous la cascade et s'en allait rejoindre un collet dans une arête rocheuse. Mais le passage est vraiment trop dégradé pour que l'on s'y engage, hommes et mules, ne sachant pas de quoi les 300m restants derrière l'arête sont faits pour atteindre le Langpo La.
Le temps maximum que je m'étais autorisé pour cette exploration est à présent écoulé :
1) soit on franchissait le col cet après-midi et on pouvait raisonnablement penser qu'on atteindrait le Tsomoriri dans les 3 jours (on disposait d'un matelas de journées en Inde avant notre retour en Europe car nous avions projeté de faire un road-trip de 4 jours au Rajasthan ; on décalerait l'avion de Leh à Delhi et basta du Rajasthan...)
2) soit on était bloqué (et c'était bien le cas...) et on pouvait, au regard de la progression que l'on avait connue pour en arriver jusque là, revenir à notre point de départ en 4 demi-journées pour être au rendez-vous du convoi automobile chargé de nous récupérer.
C'est donc la deuxième alternative qui sera suivie d'un franchissement des "portes" du canyon un peu moins aisé qu'à l'aller et, pour éviter des difficultés complémentaires prévisibles dans la descente de la gorge pour atteindre le camp d'où nous étions partis le matin, on passera par un col panoramique au milieu des alpages d'altitude, une variante de l'itinéraire principal, proposant une vue quasiment circulaire et plongeante sur les vallées au fond desquelles se trouvent quelques unes des sources de la Tsarap Chu. Un bien bel endroit ! Voyez plutôt...
Le retour s'effectuera bien comme prévu et on arrivera en temps et en heure à la route pour honorer le rendez-vous prévu. A noter sur le parcours de retour que la Tsarap Chu avait un peu grossi nous proposant de nouvelles traversées de bras de rivière et un suivi du bord de l'eau un peu plus étroit, dirons-nous... Et puis, il y a ce dernier plaisir : à l'approche du dernier camp, que ne voit-on pas venir à notre rencontre ? Un randonneur (anglais, je l'apprendrai par la suite, une fois que j'aurai été lui rendre une visite de courtoisie dans sa tente) et son compagnon indien de Manali, tous deux d'âge respectable, qui souhaitent réaliser en autonomie la liaison de Sarchu à Darcha en remontant la Tsarap Chu et l'Unmag Chu... Sur la carte, on voit bien l'itinéraire qu'ils souhaitent emprunter. Le guide indien m'explique qu'il a suivi ce chemin il y a une trentaine d'années et qu'en autonomie il n'y a pas de problème technique particulier. Je leur fais part de notre expérience avortée et nous convenons qu'il y a matière à composer une liaison Tsomoriri - Darcha d'une dizaine de jours, en autonomie avec porteurs, en franchissant le Langpo La, l'Unmag La et le Panchi La... Tiens, tiens ! Et si je montais cela l'année prochaine ? Ladakh - Zangskar, quand tu nous tiens... En attendant le topo que je ne manquerai pas de mettre en ligne l'année prochaine ("cochon qui s'en dédit"...), vous pouvez visualiser le topo Aux sources de la Tsarap Chu qui est venu rejoindre celui de l'Umasi La au sein de la toute nouvelle rubrique des Explorations en cours.
Diaporama de la problématique du franchissement des rivières sujettes aux crues subites...
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